L’enjeu n’est pas qu’humanitaire, il est politique

Il y avait, à mon avis, environ 10 000 personnes à la manifestation anti-guerre contre Gaza de Montréal. Je suis estomaqué du traitement de la nouvelle à Radio-Canada. Aux nouvelles de 8hr à la radio ce matin on parlait des manifs d'Ottawa et de Toronto, beaucoup moins nombreuses qu'à Montréal selon les chiffres précis donnés, mais pas de celle de Montréal ! En plus, comme d'habitude, on donnait un temps de parole quasi aussi important aux porte-parole sionistes qui n'avaient mobilisé à peu près personne. Aux nouvelles télévisées d'hier soir, on ne donnait pas de chiffres se contentant de dire « par milliers ». (http://www.radio-canada.ca/audio-video/pop.shtml#urlMedia=http://www.radio-canada.ca/Medianet/2009/CBFT/TelejournalMontreal200901101800_3.asx)

Les quatre porte-parole interviewés se limitaient à parler de « paix », de « cessez-le-feu », de « négocier » alors que pourtant l'appel officiel (http://www.ftq.qc.ca/modules/nouvelles/nouvelle.php?id=1825&langue=fr) parle aussi de « massacre de la population de Gaza », de « bombardements meurtriers et l’occupation illégale des troupes israéliennes » avec plusieurs revendications à l'avenant. Le contraste était frappant avec les deux porte-parole sinonistes qui n'hésitaient pas à dénoncer les roquettes et le « terrorisme » contre la population civile israélienne. Espérons qu'il n'y a là qu’un biais par Radio-Canada. Il était par contre assez navrant d'entendre le député de Québec solidaire dénigrer la résistance palestinienne en appelant à négocier avec les « Palestiniens de bonne foi. » comme si ce n’était pas le gouvernement sioniste était pas de bonne foi !

J'ai noté une contradiction entre le message officiel et les slogans les plus fréquents (par exemple « Israël assassin », « Israël terroriste ») et les pancartes (voir mes photos) de la majorité des participantes, beaucoup plus radicaux. À ma connaissance, je n'ai vu aucune pancarte ni entendu aucun slogan réclamant « l'arrêt des tirs de roquettes par le Hamas sur la population civile israélienne », au plus des pancartes officielles « cessez-le-feu » et quelques unes artisanales parlant de paix. Par contre certains intervenants dans leurs discours ont mentionné le thème « paix avec justice ».

Quant à Québec solidaire dont je suis un militant, je ne peux que me désoler du grand retard à prendre une position apparue sur le site seulement le 10 janvier (http://www.quebecsolidaire.net/). De plus, ce contenu est problématique à bien des égards. Cette prise de position trouve le moyen de ne pas appuyer la résistance, même d'en faire une critique pacifiste (« ...délaisser les armes de chaque côté et négocier de bonne foi... »), comme s'il n'était pas légitime de résister par tous les moyens à cette guerre d'anéantissement d'un peuple emprisonné et à un blocus génocidaire, comme si le gouvernement israélien et ses mentors impérialistes pouvaient être de bonne foi.

L'astuce de la direction de QS pour masquer son pacifisme est de mêler les blâmes à la résistance avec les revendications traditionnelles du mouvement national palestinien mais sans mettre en évidence la centralité de la levée du blocus, base matérielle du « génocide rampant » (Michel Warchawsky) et de l'« holocauste en train de se faire » (Richard Falk, rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour les Territoires palestiniens occupés), diagnostics faits avant le début de la guerre. En concluant que « qu’un peuple libéré préfère toujours les moyens pacifiques et démocratiques pour se faire entendre. », la direction nationale de QS va jusqu'à s'abaisser à blâmer la résistance palestinienne au lieu de lui témoigner sa pleine et entière solidarité. Il y a d'autres temps pour exprimer des réserves sur les idéologies, les programmes et les tactiques. La direction de cette résistance a d'ailleurs dûment été élu en 2006, a évité un coup d'État de « l'Autorité palestinienne » en 2007 et avait respecté pendant des mois un cessez-le-feu qu'Israël n'a pas respecté ni au moins en allégeant le blocus ni en ne faisant pas des incursions meurtrières (http://www.robertbibeau.ca/palestine/Rachad.doc).

La direction de QS s'en prend davantage à la co-responsabilité des gouvernements arabes — quitte même à blâmer ceux d'entre qui « refus[e]nt de reconnaître Israël... » comme si c'était une faute de ne pas reconnaître un gouvernement raciste et dorénavant génocidaire — qu'à la responsabilité impérialiste, surtout étasunienne, qui subventionne et soutient militairement et diplomatiquement ces très répressifs gouvernements pro-Israël et anti-Hamas dont « l'Autorité palestinienne ». La direction de QS fait essentiellement de cette guerre une « catastrophe humanitaire », ce que, bien sûr, elle est pleinement au point que même la conservatrice Croix Rouge proteste (http://www.ledevoir.com/2009/01/10/226706.html). Cependant, comme le signalent des intervenants pro-sionistes « Deux cent mille Algériens, à la fois musulmans et arabes, ont été assassinés par l'infâme Front islamique du salut. Trois cent mille Soudanais noirs du Darfour ont été tués par les milices arabes du Nord. Deux cent mille chiites irakiens et des milliers de musulmans kurdes ont été annihilés par Saddam Hussein. » (http://www.ledevoir.com/2009/01/09/226390.html).

La spécificité de cette guerre est politique. Elle est au cœur de la stratégie impérialiste de la guerre permanente contre le terrorisme dont la présidence Obama veut déplacer l'axe en Afghanistan. Surtout elle incarne la nouvelle idéologie du « choc des civilisations » qui remplace l'anti-communisme. Non seulement Israël se conçoit-elle comme le bastion de l'Occident contre la prétendue barbarie arabo-musulmane mais il est le porte-avion militaire de l'impérialisme au Moyen-Orient, le cancer qui fige les rapports sociaux et politiques au sein du monde arabo-musulman. Il n'est pas exagéré de dire que la question palestinienne est la clef de voûte de l'échafaudage de la domination impérialiste du monde. C'est pour cela qu'elle est si importante, qu'elle soulève tant d'émotions, qu'elle mobilise tant. Ajoutons-y la sensibilité du peuple québécois à toute lutte de libération nationale.

En disant que « le gouvernement canadien en ait appelé, bien timidement, à un cessez-le-feu,... » la direction de QS laisse entendre que cette position, celle du Conseil de sécurité de l'ONU, serait à la limite acceptable alors qu'elle fait sienne les buts de guerre d'Israël, d'où le refus des ÉU d'utiliser leur droit de veto pour la bloquer. Le rejet par Israël de cette résolution n'est que de la poudre aux yeux pour que l'opinion publique mondiale ne réalise pas le parti-pris du Conseil de sécurité. La direction nationale de QS « oublie » de rappeler que la position impérialiste dont celle du gouvernement canadien, mais aussi celles du parti Libéral et du Bloc québécois, est de rendre le Hamas responsable de la guerre et de présenter la guerre d'Israël comme une position de « légitime défense » quitte à dénoncer ses « excès ». De dire le dernier communiqué du Bloc québécois, l'alter ego du PQ, « Il est clair que les tirs de roquettes sur le territoire israélien doivent cesser, mais il faut dénoncer du même souffle la réplique de l’armée israélienne, qui est disproportionnée et inacceptable. »

Marc Bonhomme, 11 janvier 2009