9 novembre 2009

 

Article pour le journal Ç UnitŽ ouvrire È

 

Mises ˆ pied, gaz ˆ effet de serre, fiscalitŽ et indŽpendance

La direction de QuŽbec solidaire tergiverse et sĠŽcrase

 

Dans le prŽcŽdent numŽro dĠUnitŽ ouvrire, jĠavais t‰chŽ de dŽmontrer que le PQ, par son rŽellement existant nŽolibŽralisme — des coupures salariales de 1982 ˆ celles des services publics ˆ la fin des annŽes 90 — et autonomisme — de la souverainetŽ-association des dŽbuts ˆ la souverainetŽ-partenariat dĠaujourdĠhui en lieu de lĠindŽpendance — a dŽfinitivement trahi la confiance du peuple quŽbŽcois.  En conclusion, jĠavais posŽ la question ˆ savoir si QuŽbec solidaire rŽunit les conditions pour rŽaliser cette percŽe historique que serait un parti prolŽtarien et populaire de masse pour un QuŽbec indŽpendant, Žcologique et de plein emploi.  Est-ce que la Ç souverainetŽ populaire È de QuŽbec solidaire va au-delˆ de la souverainetŽ-partenariat du PQ ?  Est-ce que la stratŽgie de la sainte trinitŽ (Žlections dĠun gouvernement QS / assemblŽe constituante / rŽfŽrendum) est une avancŽe par rapport ˆ la dŽfunte stratŽgie du PQ (Žlections dĠun gouvernement pŽquiste / rŽfŽrendum) ? 

 

 

Humaniser le capitalisme nŽolibŽral ne suffit pas pour contrer la crise

 

QuŽbec solidaire prend certainement toute une sŽrie de positions ponctuelles plus ˆ gauche que le PQ.  Parmi les plus Žvidentes, on nommera la soumission du dŽveloppement minier aux avis du BAPE, la fin des privatisations, la construction de 50 000 logis sociaux en 5 ans, le salaire minimum ˆ 10.50 $É comme le gouvernement LibŽral ontarien, Žliminer les catŽgories de prestataires de lĠaide sociale, Žlection ˆ la proportionnelle et paritŽ femme-homme, pluralisme syndical, un rŽgime entirement public et universel dĠassurance mŽdicaments, la gratuitŽ des soins dentaires de base et des examens dĠoptomŽtrie, lĠabolition des frais de scolaritŽ universitaires et des subventions aux Žcoles privŽes, lĠabaissement des seuils dĠapplication de la loi sur lĠŽquitŽ salariale et de la francisation des entreprises.  Il y a manifestement une volontŽ dĠhumaniser le capitalisme nŽolibŽral qui contraste avec le nŽolibŽralisme pŽquiste (et libŽral). 

 

Mais y a-t-il une volontŽ de se rendre indŽpendant des diktat des transnationales, bancaires et autres, dont les exigences en ces temps de crise font des demandes de QuŽbec solidaire une aspirine pour guŽrir un cancer ?  Pendant que QuŽbec solidaire exige dĠavancer dĠun mtre, la bourgeoisie fait reculer le prolŽtariat dĠun kilomtre.  Faisons un test grandeur nature pour voir si lĠorientation de QuŽbec solidaire, le souverainisme populaire et le social-libŽralisme, lui permettent de contrer la crise Žconomique et Žcologique qui se dŽploieront dans les prochaines annŽes ?  Trs concrtement, que propose QuŽbec solidaire face aux mises ˆ pied, aux gaz ˆ effet de serre et aux dŽsŽquilibres budgŽtaires ?  QuĠen conclure sur la question de lĠindŽpendance ?

 

 

Indignation morale et larmes de crocodiles contre les mises ˆ pied

 

Les mises ˆ pied nĠont pas manquŽ en 2009 au QuŽbec.  Seulement dans le secteur aŽronautique, CAE annonait 600 mises ˆ pied (mai), Pratt et Whitney 1400 (fŽvrier et septembre), Bombardier 1800 (fŽvrier et avril).  SĠajoutent celles du secteur des p‰tes et papier, en particulier de la plus grande papetire canadienne, Abitibi-Bowater qui est en faillite (500 mises ˆ pied en septembre), mais aussi Kruger (400 en juillet) et Cascades (150 en avril).  DĠautres secteurs ont aussi ŽtŽ touchŽ comme lĠaluminium dont Alcoa (275 en avril) et lĠacier dont Arcelor-Mittal (190 en avril).  Et comme le secteur manufacturier est un secteur moteur, encore plus ceux qui ont ŽtŽ touchŽs o les salaires sont relativement bons, les consŽquences en aval de lĠŽconomie nĠont pas manquŽ de sĠy faire sentir.  Depuis deux ans, le taux dĠemploi du QuŽbec a chutŽ de 2%, cĠest-ˆ-dire quĠil y aurait cent mille emplois de plus si ce taux Žtait restŽ constant. 

 

Que propose la direction de QuŽbec solidaire contre les mises ˆ pied massives ? La prŽsidente-porte-parole qualifiait de Ç honte È la fermeture de lĠusine textile Golden Brand dans son comtŽ de Gouin en avril 2008.  Depuis, plus rien.  La dernire intervention du dŽputŽ-porte-parole sur le sujet remonte ˆ janvier 2009 ˆ propos de la fermeture de lĠusine Rio Tinto/Alcan de Beauharnois.  De dire le dŽputŽ de QuŽbec solidaire :

Ç JĠinvite les dirigeants de Rio Tinto Alcan ˆ rŽpondre ˆ lĠappel ˆ la responsabilitŽ lancŽ par le nouveau prŽsident amŽricain Barack Obama en revenant sur leur dŽcision de fermer lĠusine. [É] Le gouvernement doit faire pression sur la haute direction de Rio Tinto Alcan pour quĠelle revienne sur sa dŽcision de fermer lĠusine de BeauharnoisÉ È 

Indignation morale, larmes de crocodiles et admonestations ˆ la Obama, voilˆ la politique de la direction de QuŽbec solidaire concernant les fermetures et les mises ˆ pied massives.  Le PQ ne fait pas pire.  Le dŽputŽ Žtait trop gnŽ pour mettre de lĠavant la politique mise de lĠavant lors de la dernire campagne Žlectorale et reprise dans le Manifeste invitant ˆ dŽpasser le capitalisme : encourager les travailleurs congŽdiŽs ˆ former des coopŽratives.  Il ne viendrait pas ˆ lĠidŽe de la direction de QuŽbec solidaire que lĠƒtat peut lŽgifŽrer pour interdire les congŽdiements et maintenir salaires et conditions de travail, soit ˆ la charge de lĠentreprise si elle demeure rentable (ex. Bombardier et les autres entreprises du secteur aŽronautique, AlcoaÉ) sinon de ses concurrentes sectorielles ou mme de lĠensemble de lĠindustrie (ex. Abitibi-Bowater ou Nortel). 

 

La question de la crise des fonds de pensions qui affectent particulirement les employŽs des entreprises en faillite telles Abitibi-Bowater et Nortel ?  Mettez plus dĠargent dans la Caisse de dŽp™t et de placement, championne quŽbŽcoise de la spŽculation, dit le Manifeste soi-disant anticapitaliste aux travailleurs congŽdiŽs.  Plus cynique, tu meurs.  Il ne viendrait pas ˆ lĠidŽe de la direction de QuŽbec solidaire que le programme de sŽcuritŽ de vieillesse fŽdŽral puisse tre Žlargi par le QuŽbec (indŽpendant) au niveau, par exemple, de 80% du meilleur revenu de travail, avec un plancher au seuil de faible revenu, et ainsi se substituer trs avantageusement aux REER, RRQ et plans dĠentreprise tous dŽpendants des (im)performances du marchŽ financier et par lˆ intŽgrant les couches supŽrieures et moyennes du prolŽtariat au capital financier.     

 

 

Des cibles Žcologistes moins ambitieuses que celles du capitalisme vert

 

Ë la veille de la confŽrence de Copenhague devant fixer les objectifs chiffrŽs post-Kyoto, des groupes Žcologistes dŽnoncent le manque dĠambition du gouvernement du QuŽbec, qui se cache derrire lĠineptie du fŽdŽral, pendant que Transport 2000 fait conna”tre un plan concret de transport public.  Jamais la direction de QuŽbec solidaire, qui pourtant insiste lourdement sur son caractre Žcologique, nĠa pris position sur les objectifs du GIEC pour une nation industrialisŽe comme le QuŽbec, soit une rŽduction des gaz ˆ effet de serre de 40% en 2020 par rapport ˆ 1990 et dĠau moins 90% en 2050. 

 

Resterait ˆ savoir comment atteindre ces objectifs.  Est-ce ˆ la manire du capitalisme vert comme le propose le rŽcent rapport de lĠinstitut Pembina et de la fondation David Suzuki financŽ par la banque Toronto-Dominion : taxe rŽgressive sur le carbone (ou marchŽ du carbone) et baisse du plus progressif imp™t sur le revenu ; exportation de crŽdits carbone dans les pays dit Žmergeants et pauvres au bŽnŽfice des transnationales canadiennes ;  continuation de lĠexploitation des sables bitumineux gr‰ce ˆ la trs cožteuse, trs risquŽe et immature technologie de la sŽquestration du carbone ; compensation pour lĠŽconomie albertaine au dŽtriment du QuŽbec, nouveau chapitre de lĠoppression nationale.  Sauf ˆ propos dĠune critique du marchŽ du carbone faite en 2007, la direction de QuŽbec solidaire est encore plus silencieuse sur ce sujet quĠelle ne lĠest sur les cibles post-Kyoto proprement dites.   

 

Cette direction se contente de rŽclamer un peu plus de transport public, dĠefficacitŽ ŽnergŽtique et dĠŽnergie ŽolienneÉ ˆ peine plus que le PQ (et mme les LibŽraux).  Elle sĠen diffŽrencie, sur le tard, en sĠopposant au dŽveloppement hydroŽlectrique qui certes ne produit pas de gaz ˆ effet de serre mais nĠen est pas moins dŽvastatrice dĠŽcosystmes.  Cependant, elle est dĠaccord avec le PQ et avec les LibŽraux pour exporter notre ŽlectricitŽ aux ƒU et non pour lĠutiliser ici, par exemple pour un investissement massif dans des transports publics ŽlectrifiŽs et gratuits suffisants pour remplacer ˆ terme lĠautomobile individuelle.  

 

 

Un vin et fromage ˆ 250$ le couvert au lieu dĠune rŽforme fiscale en profondeur

 

On comprend la modestie Žcologique de la direction de QuŽbec solidaire quand on rŽalise quĠelle ne propose dans son Ç cadre financier È aucune augmentation de lĠimposition des profits, du patrimoine, des revenus ŽlevŽs et de la consommation de luxe pour financer son programme dĠinvestissements Žcologiques (ou toute autre mesure anti-crise).  PrŽfre-t-elle se rŽserver les revenus des riches en organisant des vins et fromages ˆ 250 $ le couvert o ces nantis lui conseilleront en toute intimitŽÉ la modŽration fiscale ?  Adieu financement populaire. 

 

On comprend que cette direction se fixe dans son prŽtendue plan anti-crise un objectif rŽduit de crŽation de 40 000 emplois alors que la crise a dŽjˆ entra”nŽ un dŽficit de 100 000 emplois.  Ce Ç cadre financier È, encore diffusŽ au dŽbut 2009 par dŽpliant sans rien qui ne vienne le corriger par la suite sauf de vagues allusions politiciennes ˆ la progressivitŽ du revenu et lĠŽcofiscalitŽ (laquelle ?), met en plus de lĠavant davantage dĠendettement public auprs du capital financier. 

 

On comprend la gne de la direction de QuŽbec solidaire dans lĠactuel faux dŽbat sur le rŽtablissement de lĠŽquilibre budgŽtaire dĠici quatre ans par le recours ˆ la rŽgressive tarification et par des coupures ˆ la trononneuse dans les services publics.  CĠest ˆ ce point que le dŽputŽ de QuŽbec solidaire soutient les objectifs dĠŽquilibre du ministre des Finances mais est contre les moyens.  Cela rappelle la sagesse des chefs syndicaux qui soutenaient la stratŽgie de Ç dŽficit zŽro È du PQ mais se dŽclaraient contre les moyens.  LĠancien chef pŽquiste Parizeau appelait a sĠauto-plure-de-bananiser. 

 

On ne se surprendra pas que la direction de QuŽbec solidaire ait tant tardŽ pour soutenir les revendications des syndicats du secteur public.  Mais quel risque y a-t-il dĠailleurs ˆ le faire maintenant que lĠŽditorialiste en chef de Power Corporation a lui-mme recommandŽ au gouvernement Charest la modŽration peut-tre par crainte de la baisse de qualitŽ des services publics ˆ cause de trop bas salaires.  Ce quĠil ne dit pas, cependant, cĠest que connaissant la volontŽ des directions syndicales de rŽgler rapidement et donc ˆ rabais, il estime prŽfŽrable un tel scŽnario ˆ un risquŽ affrontement social de grand ampleur au cas o la base syndicale dŽborderait ses directions.

  

 

La direction de QuŽbec solidaire traumatisŽe par la rupture indŽpendantiste

 

SĠattend-on ˆ ce quĠune telle direction sĠenflamme pour lĠindŽpendance ?  Dans lĠactuel dŽbat sur la question nationale, au moment dĠŽcrire ces lignes, la direction nationale Ždulcore lĠidŽe dĠindŽpendance au lieu dĠen faire la revendication clef de la libŽration du peuple quŽbŽcois de lĠoppression fŽdŽrale et de lĠexploitation capitaliste.  Elle lui prŽfre son nouveau concept vertueux et insignifiant de Ç souverainetŽ populaire È.  Qui nĠest pas, en effet, pour la souverainetŽ du peuple ˆ moins de sĠopposer ˆ la dŽmocratie ?  Mais le capitalisme nĠest pas une vraie dŽmocratie objectera-t-on.  Exact.  Au QuŽbec, la vraie dŽmocratie passe par lĠindŽpendance.  Ë lĠŽpoque du capitalisme global, contrairement au temps des Patriotes de 1837-38, les indŽpendances contre le fŽdŽral et contre le capital sont indissolublement liŽes malgrŽ leur spŽcificitŽ propre.   

 

Comment ne pas reconna”tre le parallle entre la souverainetŽ-partenariat du PQ et la souverainetŽ populaire de la direction de QuŽbec solidaire comme Žtant la mme mŽthode pour noyer lĠindŽpendance ?  Le concept de souverainetŽ populaire est une manÏuvre permettant de pelleter en avant, vers lĠAssemblŽe constituante, les difficiles dŽcisions.  Par petite dose on en revient ˆ la position du NPD-QuŽbec de 1985 ˆ cette diffŽrence prs que celle-ci Žtait alors un pas en avant de la part dĠun parti de gauche sĠappuyant sur les organisations populaires et syndicales. 

 

Faut-il sĠŽtonner de lĠŽchec participatif du processus de programme ˆ ce jour.  Aucune instance locale ou rŽgionale de lĠEstrie, y compris Sherbrooke, aucune du centre du QuŽbec, aucune des Chaudre-Appalaches, y compris LŽvis-Lauzon, aucune du Bas-St-Laurent, aucune de la GaspŽsie, aucune du Centre-du-QuŽbec, aucune de la Mauricie, aucune du Saguenay-Lac-St-Jean nĠont envoyŽ dĠamendements pour le congrs de la fin novembre.  Une seule instance de lĠOutaouais, une seule de lĠAbitibi-TŽmiscamingue, une seule de Laval, une seule de Lanaudire, une seule de la C™te-Nord/Nord du QuŽbec lĠont fait.  Ne restent que les Laurentides (deux), la MontŽrŽgie (deux), QuŽbec (quatre) et lĠële de MontrŽal (les six comtŽs du dit Ç croissant fertile È et deux du sud-ouest plus lĠinstance rŽgionale).  Comme dessert, aucun association Žtudiante de la rŽgion mŽtropolitaine de MontrŽal nĠa participŽ et une seule ailleurs.  Le voilˆ le rŽsultat de la fameuse dŽmocratie participative alambiquŽe de la direction de ce processus qui dure depuis plus dĠun an.   

 

Si la direction de QuŽbec solidaire assumait la rupture de lĠindŽpendance, elle proposerait immŽdiatement un programme, une organisation et une mŽthode dĠaffrontement avec le capitalisme nŽolibŽral et fŽdŽral pour sortir de la crise Žconomique et pour commencer ˆ diminuer radicalement les Žmanations de gaz ˆ effet de serre et la destruction de la biodiversitŽ.  En 1967, les ƒtats gŽnŽraux avaient ŽtŽ la plate-forme de lancement de la grande mobilisation dĠalors.  Pourquoi ne pas faire une campagne politique ds maintenant pour des ƒtats gŽnŽraux du mouvement populaire pour ˆ la fois contrer la contre-offensive LibŽrale de coupures/tarification, dont les syndicats du secteur public seront les premires victimes, et organiser lĠoffensive contre la crise dans la perspective de la libŽration du peuple quŽbŽcois du capitalisme nŽolibŽral et fŽdŽral, cĠest-ˆ-dire pour une indŽpendance de gauche ?

 

Marc Bonhomme, militant anticapitaliste et indŽpendantiste de QuŽbec solidaire

9 novembre 2009