La critique du politique doit toujours porter sur le rel, que l'on parle de coopratisme ou de socialisme, tout comme d'ailleurs la thorie qui est une analyse de la ralit pour en dgager les lois, les tendances et les contradictions. Autant on doit critiquer le coopratisme rellement existant, autant on doit le faire pour le socialisme rellement existant, par exemple Cuba, la Russie et les partis staliniens. Pour tre plus prcis, la thorie sociale est une critique de l'histoire du dveloppement des luttes sociales, fondamentalement celles des classes modules par celles des nations et des genres. C'est l la mthode marxiste.
Socialisme, coopratisme, syndicalisme et parti sont des ralits dont la pratique (et la thorie) ont atteints leur maturit dans la seconde moiti du XIXi sicle parce que c'est justement alors que le capitalisme est devenu dominant comme mode de production mondial. Le socialisme s'est dgag comme projet de mode de production alternatif au capitalisme, le syndicalisme (et la grve) comme mode d'organisation principale de la lutte sociale, en particulier conomique, le parti comme mode d'organisation de la lutte politique et le coopratisme comme mode d'organisation de la lutte des petits producteurs (agriculteurs, artisans) et petits commerants la fois contre leur proltarisation et contre la grande entreprise alors mergeante. Comme au XIXi sicle, les petits producteurs et petits commerants taient relativement trs nombreux, le coopratisme y prit une relative grande place.
Le dveloppement de ce Ç paradigme È au XXi sicle en modifia les rapports rciproques comme il en rvla les faiblesses. Le socialisme se prit au pige du bureaucratisme (stalinisme et social-dmocratie) aprs que celui-ci eut gangren l'tat devenu tentaculaire mais aussi l'entreprise prive domine par des transnationales lestes de lourds appareils bureaucratiques (Kafka). Le syndicalisme se prit au pige de la collaboration de classe appele au Qubec Ç concertation È le livrant au chantage de la loi de comptitivit des entreprises et donc des concessions en n'en plus finir en temps de crise (ex. le secteur automobile). Le parti, abandonnant la prparation de la rvolution, se prit au pige du rformisme jusqu' ce que le nolibralisme l'accule au Ç rformisme sans rformes È ou avec attnuation des contre-rformes.
Le coopratisme du XXi sicle a continu organiser les petits producteurs tout en sĠtendant aux proltaires mais surtout comme consommateurs, pargnants et locataires/propritaires.
ÒPromotion
of cooperativesÓ, International Labour Organization, 2000
(Je
nĠai pas pu faire de copie-coller pour raison de droit dĠauteur dĠo
lĠutilisation dĠextraits photographis et jĠai utilis le texte anglais pour
complter les parties dlibrment manquantes du texte franais de Google
books, dĠo le caractre rbarbatif de la prsentation de plusieurs extraits)
Cependant, un
secteur minoritaire du coopratisme est compos de cooprants-travailleurs au
sein de coopratives de production.
Ë remarquer, cependant, que ceux-ci sont avant tout des travailleurs
spcialiss dont les comptences professionnelles les protgent quelque peu des
forces du march. Ë ce titre, il y
a un rapprochement faire avec les artisans du XIXi sicle :
Idem
CĠest infime,
particulirement dans les pays imprialistes, la plus grande partie tant dans
les anciennes conomies collectives dites du Ç socialisme
rel È. Ce nĠest pas un
hasard. Seul le rejet du
capitalisme cre les conditions de dveloppement de coopratives
prospres. Rester fidle aux
principes coopratifs exige la suppression de la loi de la concurrence impose
par le march capitaliste, ce que le mouvement coopratif ne saurait faire. DĠo, au prorata de leurs succs, les
coopratives se transforment de facto en entreprises capitalistes
ordinaires :
Idem
On le voit dans
le dveloppement rcent de Mondragn au Pays Basque, la Ç [p]lus grande
cooprative ouvrire au monde È :
Ç On peut rsumer l'volution du groupe en mentionnant quelques
indicateurs: En 2002, les exportations reprsentent 27% du chiffre d'affaires.
La moiti des 60000 personnes qui travaillent pour le groupe sont des employs
et non pas des socios
(travailleurs associs de la cooprative). La croissance est externe, base sur
le rachat d'autres entreprises, plutt que sur la cration de nouvelles
entreprises. Il n'y a plus de priorit basque dans la recherche des
fournisseurs[1]. È
Wikipdia franais, Mondragn Corporacin Cooperativa
Cette
transnationalisation permet aux travailleurs-cooprants, mme sĠils ne peuvent
viter des baisses de salaire pour eux-mmes, de refiler en grande partie
leurs Ç employs È le cot de la crise :
Ç Comme le remarque Joel Martine, si les socios bnficient d'un
emploi vie, les coopratives ont aussi leurs emplois prcaires, les
eventuales, travailleurs contrat dtermine qui sont un peu des salaris de
seconde zone, non citoyens dans les coopratives7.
Ce que ne dment pas Fernando Gomez-Acedo, prsident du conseil de surveillance
de Fagor-Brandt [filiale
de Mondragn Corporacin Cooperativa, NDLR] qui on demande Ç Ce sont
probablement les non-cooprateurs qui ont le plus de soucis se faire en cas
de restructuration È et qui rpond: Ç Effectivement, la loi nous autorise recruter 25%
des salaris qui ne sont pas des associs; quand il n'y a plus de travail, ils
sont les premiers partir... È 3..
Ç En 2006, aprs l'acquisition de Brandt [une entreprise franaise dĠlectromnagers, NDLR],
la direction de Fagor-Brandt a annonc la suppression de 360 emplois en France,
certains syndicalistes de Brandt sont alls distribuer un tract Mondragn
pour s'adresser aux 'socios' qui taient par ailleurs leurs actionnaires. Le
nombre de suppression d'emploi a t ramen 100, mais les problmes classiques
inhrents la mondialisation du groupe sont devenus rcurrents. Fagor devait
s'approprier Brandt pour gagner des parts de march et des avances
technologiques, mais dans la division du travail qui s'instaure entre
Mondragn, la Pologne, la France et le Maroc, les salaires franais sont une
charge plus lourdes que les salaires polonais ou marocains. Sur ce point, les
cooprateurs de MCC appliquent aux filiales trangres le principe qu'ils
refusent pour eux-mme, savoir, la loi dicte par des actionnaires extrieurs[7]. È
Idem
Il est tout
fait illusoire de souhaiter que les coopratives restent petites pour ne pas
tre corrompues par le capitalisme.
Comme nĠimporte quelle entreprise capitaliste, elles ont le choix entre
á
la tendance
la transnationalisation, dĠo de bons salaires et conditions de travail pour
les travailleurs-cooprants qui deviennent de plus en plus un collectif
capitaliste sĠen remettant une gestion spcialise dote de salaires
Ç comptitifs È,
á
ou celle de
la marginalisation, quand ce nĠest pas la faillite, dĠo les salaires et
conditions de travail de crve-faim de lĠconomie socialeÉ sauf pour les petits
grants.
La nouvelle
popularit des coopratives de toutes sortes sĠexplique par le dveloppement de
la stagnation conomique depuis le milieu des annes 70. Il faut cependant distinguer deux cas
types qui, cependant, se recoupent probablement largement :
ÒPromotion
of cooperativesÓ, International Labour Organization, 2000
Idem
Si on peut sympathiser avec un groupe de travailleurs cherchant sauver leur emploi en sĠorganisant en coopratives de production, on ne peut que constater le cul-de-sac de cette solution et mme son caractre conservateur si lĠon remarque lĠorigine religieuse/nationaliste du coopratisme qubcois et basque, ce qui explique que lĠtat les appuie systmatiquement :
[É]
[É]
[É]
[É]
dans
Ç Diversit et identits au Qubec et dans les rgions d'Europe È,
Jacques Palard,
Alain Gagnon, Bernard Gagnon, Presses Universit Laval, 2006
Plusieurs analystes pensent que le dveloppement du coopratisme, comme principale forme de production de lĠconomie sociale, est lĠapparition du mode de production socialiste dans les interstices du capitalisme. On vient de voir que le coopratisme est plutt une mthode de division et dĠintgration du proltariat dans le capitalisme.
Ces auteurs font un faux parallle entre la transformation du fodalisme en capitalisme et celle du capitalisme en socialisme. La premire transformation, mme si elle a ncessit une rvolution, nĠest quand mme que la substitution dĠune classe dirigeante par une autre, ce qui rend possible la collusion de ces classes, malgr leurs contradictions, contre les classes domines. LĠtat absolutiste (ex. Louis XIV en France, lizabeth I en Angleterre) tait dĠailleurs un tat fodal sĠappuyant la fois sur la noblesse dominante et le capitalisme marchand domin. Au XIXi sicle en Europe, on a vu merger lĠAllemagne impriale o lĠempereur sĠappuyait sur un capitalisme industriel dominant et des Ç junkers È semi-fodaux (grands propritaires fonciers) encadrant lĠarme.
La seule classe sociale capable de renverser le capitalisme est le proltariat dĠautant plus quĠil est devenu mondialement majoritaire. Toutefois, la raison fondamentale de cette capacit nĠest pas le nombre mais sa place dans les rapports de production comme essentiel producteur de la richesse. Cette capacit se traduit-elle en volont ? LĠhistoire des luttes sociales du XIXi et XXi sicle, en particulier des tentatives rvolutionnaires de 1848 1979, le dmontre amplement mme si elle relve aussi la complexit de la tche qui doit tenir compte des rapports avec le paysannat et les oppressions nationale et de genre.
Peut-on objecter que lĠchec des rvolutions est d lĠapparition dĠune nouvelle classe dominante, la bureaucratie, issue des couches dites aristocratiques du proltariat et de lĠintelligentsia petite-bourgeoise ? Les contre-rvolutions capitalistes en Russie et en Chine, et paralllement le dvoiement social-libral de la social-dmocratie, mme si elles ont permis le dchanement du Ç pur È capitalisme nolibral, ont dsormais dmontr que la bureaucratie nĠtait quĠune caste parasitaire et thermidorienne incapable de stabiliser de nouveaux rapports de production de mme que les institutions et lĠidologie lĠavenant. Rappelons que tant le stalinisme que le maosme se sont rclams du socialisme, ce avec quoi lĠidologie capitaliste tait entirement dĠaccord car cela lui permettait de sĠapproprier la lutte pour la dmocratie.
La rvolution capitaliste se prpara de longue date par la conqute de positions conomiques (et dĠune idologie lĠavenant) avant de sĠachever par la conqute politique du pouvoir. La rvolution socialiste exige au contraire la conqute pralable du pouvoir politique (et la destruction de lĠappareil de rpression de lĠtat bourgeois) avant de pouvoir conqurir des positions conomiques, en commenant par les hauteurs stratgiques de la finance. Cette bataille pour le contrle de lĠconomie aprs la conqute du pouvoir politique signifie une transition qui peut tre relativement longue et qui ne sera pas sans ractions contre-rvolutionnaires que seul lĠapprofondissement de la dmocratie permettra de vaincre.
Avancer la formation de coopratives de travailleurs comme solution aux fermetures de lieux de travail et aux congdiement massifs comme le fait la direction de Qubec solidaire dans le Manifeste du premier mai nĠest pas un pas en avant pour dpasser le capitalisme. CĠest la fois une capitulation au droit de grance du capital pour rgler la crise sur le dos du proltariat et une consolidation du capitalisme qui on consent un moyen dĠintgration et de division du proltariat au capital.