Le « Cahier de
perspective » à propos de la démocratie
Où est la démocratie sociale ?
{Note : Les propositions précises sont soulignées}
Le « cahier de perspective » (CP) de la direction de Québec solidaire (QS) sur les questions nationales et démocratique a donné lieu jusqu’ici à de vifs débats sur l’orientation générale du programme — l’indépendance et sa signification — et la stratégie pour y arriver — le trio élection de QS/assemblée constituante/référendum. On a peu débattu des propositions programmatiques portant sur la démocratie tant est cruciale la question de l’orientation et de la stratégie. J’ai déjà discuté des questions d’orientation et de stratégie dans deux contributions précédentes qu’on trouvera dans la partie « contributions générales » à http://programme.quebecsolidaire.net/contributions. Mais donner la priorité n’est pas oublier pour autant. Il faut se rendre compte que le CP n’en a que pour très principalement la démocratie institutionnelle négligeant la démocratisation de la société, en particulier l’économie… sauf en vagues termes principiels loin d’un engagement programmatique.
Contrôler les ressources par le « …[refus de]la domination économique et le pillage de nos ressources naturelles par les multinationales étrangères. » ? Est-ce à dire qu’on accepte le pillage par Québec Inc. ? Lapsus révélateur ? Avec un peu de démagogie, le PQ et même les Libéraux ne pourraient-ils pas en dire autant ? Quels sont les objectifs et les moyens qui seront mis en œuvre lesquels seuls méritent de prendre place dans un programme ? Parle-t-on de nationalisation et/ou de socialisation (nationalisation + démocratisation) ? Pense-t-on vraiment passer à la gestion écosystémique de nos forêts sans exproprier les monopoles de la forêt de sorte à créer les conditions pour que le Ministère des ressources naturelles cesse d’être leur chevalier servant ? Peut-on vraiment se doter d’une politique nordique — en cogestion avec les nations cri, innu et inuit — contrer la pollution minière et obliger les acteurs économiques à une deuxième et troisième transformation des ressources sans la nationalisation du sous-sol québécois ?
Juguler la finance par « …la promotion de la souveraineté populaire contre la volonté des institutions financières internationales… » ? Est-ce une porte ouverte aux institutions financières québécoises et pas seulement la Caisse de dépôt et Desjardins dont les modes de fonctionnement sont on ne peut plus capitalistes ? Toujours ce concept creux et passe-partout de souveraineté populaire. Ce concept signifie historiquement la négation de la souveraineté royale découlant de la légitimité divine. Tous les partis politiques modernes s’en réclament dont tous les partis de l’Assemblée nationale. En politique québécoise, le concept de souveraineté trait d’union signifie escamoter l’enjeu de l’indépendance. On connaît la « souveraineté-association/partenariat » péquiste. Faudrait-il employer les mêmes subterfuges à gauche pour voguer vers la même contradiction étapiste ? Par contre, se réclamer de l’indépendance de gauche, c’est-à-dire par rapport tant du gouvernement fédéral que du capitalisme québécois, canadien, étasunien et mondial, est une orientation anti-crise tranchante et irrécupérable. Le premier acte économique d’un Québec indépendant ne devrait-il pas être l’expropriation des banques et des autres institutions financières comme premiers responsables de la crise économique ?
Démocratiser la société par la « la mise en place d’une république sociale […se dotant d’une constitution qui] devrait s’ouvrir par une Charte sociale prévoyant non seulement les droits politiques, mais également les droits économiques, sociaux et culturels. » ? Toujours le bon vieux truc de substituer des chiffons de papier aux dures et réelles transformations sociales. Les chartes et autres conventions, tout comme les constitutions, sont historiquement l’aboutissement de vastes mobilisations sociales — de guerres de mouvement à la Gramsci — qui visent contradictoirement à consacrer les gains de celles-ci tout en les figeant pour les stopper. Une fois le mouvement arrêté, les gains ont tendance à rester sur le papier en proportion des rapports réels de force amorçant habituellement une longue période de guerre de position. Prôner une « république sociale » sans stratégie de mobilisation sociale à l’avenant relève de la mystification d’une démocratie formelle coupée de la société réelle, d’une démocratie limitée aux institutions sans incidence déterminante sur l’économie réelle.
Une stratégie de mobilisation sociale dans la présente conjoncture de crise doit être au cœur de toute démocratisation de la société de sorte à la faciliter. Dans une de mes précédentes contributions, j’ai argumenté en faveur d’États généraux du mouvement populaire. L’orientation du gouvernement Libéral de rééquilibre fiscale telle que décidée au dernier Conseil général des Libéraux renforce mon argumentaire dans ce sens. Elle annonce une volonté d’en découdre avec le mouvement syndical du secteur public et, au-delà, avec l’ensemble du peuple travailleur. Toutes les vannes droitières sont ouvertes : coupures, gel, tarification, PPP. Le faux débat sur la priorité hausse de tarifs versus baisse de dépenses n’est qu’une tentative d’isolement des syndicats du secteur public pour pouvoir leur faire porter l’odieux des hausses de tarifs lesquelles, rappelons-le, ne sont qu’une taxation régressive, y compris celles du capitalisme vert telles les péages autoroutiers et le doublement des tarifs d’électricité sans compter éventuellement la taxation de la mal-bouffe.
Péage et tarifs à la fois écologiques et solidaires seraient bien sûr possibles. Il pourrait exister en parallèle aux autoroutes à péage un système de transport collectif bon marché, fréquent, confortable et pour tous les âges et conditions sociales. L’électricité en tant que service public pourrait être gratuite pour la consommation de base puis devenir rapidement très cher au-delà. Pour combattre la mal-bouffe, il suffirait d’une politique de péréquation des prix de celle-ci en faveur des aliments, de base, frais et biologiques de sorte à inverser le scandale de la cherté des bons aliments. Il n’en est bien sûr nullement question ni chez les Libéraux ni pour le PQ. Par contre, les Libéraux n’ont nullement l’intention d’augmenter l’imposition des hauts revenus, des profits, du capital et des énergivores produits de luxe. Le PQ n’en parle pas non plus, lui qui a dénoncé le rappel de sa loi anti-déficit du temps du déficit zéro. La dénonciation en ce sens du PQ par la présidente de la CSN est la bienvenue. Mais signifie-t-elle un clin d’œil aux Libéraux dans un « esprit de partenariat » évoqué astucieusement par le Premier ministre ou une porte ouverte à Québec solidaire ?
Un programme de démocratie sociale mettrait l’emphase
Le CP ne met de l’avant aucune de ces revendications, ce qui est pourtant au cœur de tout programme de gauche. Le saucissonnage de la démarche programmatique ne justifie pas celui de la question démocratique. Une démocratie de gauche est d’abord et avant tout une démocratie sociale avant d’être une démocratie institutionnelle. La démocratie sociale est d’autant plus importante qu’elle est non seulement nécessaire au combat anticapitaliste mais aussi à la débureaucratisation des organisations populaires en ce sens qu’elle crée les conditions matérielles de la démocratie participative.
Si la question du quatrième pouvoir est abordée par le CP, elle tombe à plat. On ne saurait se contenter de déplorer « le contrôle des médias par des monopoles qui réduisent le débat public […et qu’] on ne peut se permettre de laisser le contrôle de la presse à des forces qui n’ont aucun intérêt à la remise en question de l’oppression nationale… » pour aboutir au pétard mouillé :
« Québec solidaire organisera une réflexion
citoyenne sur la situation de monopole inacceptable des médias, proposera des
mesures pour faire reculer le processus de monopolisation et défendra la
diversité des points de vue et le pluralisme dans l’information. »
Pour démocratiser l’information, les monopoles médiatiques financés par la publicité, particulièrement concentrés au Québec, doivent être démantelés sans ménagement et sans pour autant paver la voie à un bureaucratique monolithe gouvernemental tout aussi au service du capital, surtout s’il dépend en grande partie de la publicité, cette propagande capitaliste qui ne dit pas son nom. Il faut des médias communautaires financés statutairement par l’impôt en fonction de critères objectifs, tel l’abonnement ou le nombre de visites Internet ou le soutien financier populaire, administrés par une organisation élective de diverses provenances (gouvernement, médias, organisations sociales et économiques).
Je note certaines mesures concrètes favorables aux immigrantes et aux réfugiées — pourquoi pas cependant des cours pour tous sur les sociétés minoritaires comme pendants aux cours de francisation des immigrants — mais l’absence de l’essentiel, une politique d’ouverture des frontières à la libre circulation des personnes et à leur installation, particulièrement pour la réunification des familles. Est très inquiétant l’affirmation du principe
« Dans le Québec que nous
voulons, ces politiques [d’immigration]
doivent tenir compte de la nécessité d’accueillir des immigrants-es pour des
fins économiques et sociales autant que de notre responsabilité morale
d’accueillir des réfugiés-es. »
C’est là une capitulation à la politique néolibérale de la prédominance des impératifs économiques, c’est-à-dire des entreprises, le tout tamisé de palliatifs moraux. Évidemment politique d’ouverture rime avec politique de plein emploi et de logement social. Cela n’empêche pas la détermination transitoire de quotas élevés — plus de 1% de la population comme point de départ — tout en donnant la priorité à la réunification des familles et à l’accueil des réfugiées.
La frilosité envers l’immigration contraste avec la générosité envers la minorité anglo-québécoise dont on reconnaît qu’« elle a fondé des institutions (entre autres dans le domaine de la santé et de l’éducation) et a acquis des droits spécifiques. » À la capitulation au néolibéralisme du CP s’ajoute celle au chauvinisme canadien qui a donné à la minorité anglo-québécoise les moyens financiers et politiques de construire leurs propres institutions et autonomies territoriales de facto. Appeler « droits » des privilèges acquis aux dépens de la majorité francophone relève du réflexe de colonisé. Il faudrait peut-être se rappeler de la lutte pour un « McGill français » à la fin des années 60 dont fut partie prenante un grand nombre de progressistes anglophones. Il faudrait peut-être aussi avoir en tête la mauvaise farce des deux très coûteux nouveaux centres hospitaliers universitaires montréalais non seulement à cause de la formule PPP mais aussi suite à la capitulation au lobby médical anglo-québécois centré à McGill. Il faut défendre le principe une seule nation = un seul système public et para-public qui opère dans la langue majoritaire tout en accommodant, au niveau des services à la population, les minorités linguistiques. Dans le domaine de l’enseignement supérieur, ces accommodements pourraient aller jusqu’à des manuels et des cours en langue étrangère, en pratique surtout en anglais mais pas uniquement, en autant que l’ensemble du système post-secondaire, sans exception, soit français et laïc.
Les revendications du CP concernant la dimension internationale de la démocratie ne sont claires que si on les examine rapidement. « Québec solidaire s’opposera aux interventions militaires canadiennes faites dans le sillage du gouvernement de Washington » Et si elles sont faites dans le sillage du Conseil de sécurité des Nations unies comme les occupations de l’Iraq et de l’Afghanistan ? La question est pertinente quand l’on sait que l’unique député de QS a voté une motion de félicitations à « nos troupes » en Afghanistan. « [Québec solidaire] dénoncera la croissance des dépenses militaires faites aux dépens des programmes sociaux. » Et si dans une éventuelle conjoncture de croissance, les une et les autres augmentent ? « Québec solidaire favorisera l’organisation d’un référendum d’initiative populaire pour exprimer notre refus des interventions militaires canadiennes… » Faudrait-il restreindre les référendum d’initiative populaire à ce seul sujet ? Ne faudrait-il pas plutôt proposer :
Vient ensuite le renforcement de la démocratie institutionnelle. La grande majorité des propositions du CP sont des réformes bienvenues. Il est certes malheureux de parler de « laïcité interculturelle », porte ouverte au communautarisme, alors que les mesures concrètes proposées relèvent plutôt de la laïcité institutionnelle c’est-à-dire que « [c]’est l’État qui est laïc, pas les individus. » Les mesures favorisant l’égalité femme-homme dans les institutions sont indispensables à condition de se souvenir que tant que l’égalité matérielle (taux d’emploi, salaire, temps plein, socialisation des tâches ménagères, accès réel du droit à l’avortement) ne sera pas atteint dans le cadre d’une société de plein emploi forcément anticapitaliste, il faudra admettre le forcing non seulement par des mesures financières spécifiques mais par de controversées mesures de discrimination positive à l’américaine lesquelles sont difficilement populaires auprès des hommes surtout en ces temps de crise qui exacerbe la compétition à tous les niveaux.
Le noyau dur de la démocratisation des institutions proposé par le CP reste l’élection à la proportionnelle. On est surpris de l’imprécision de la réforme proposée (et encore plus de la timidité de celle plus précise proposée par François Saillant et Stéphane Lessard). Pourquoi ne propose-t-on pas un système proportionnel à 100% ? À partir du moment où l’orientation stratégique du parti est l’indépendance, une forte proportion des élues doit l’être sur la base d’une liste nationale — à mon avis 50% — ce qui, en plus, facilitera l’élection de personnes issues de secteurs nationaux mais peu liées à des régions précises. Comme cette liste nationale risque de privilégier indûment Montréal et quelque peu Québec, il serait possible de compenser au niveau des listes régionales en donnant une pondération accrue à ces listes en proportion de l’éloignement (et même de la représentation de Montréal et Québec telle que mesurée ex post). Cette pondération se fait déjà d’une façon ad hoc en particulier pour les Îles de la Madeleine. En ce qui concerne d’ailleurs l’égalité entre régions ne faudrait-il pas dépasser les beaux principes que « l’État québécois agisse comme leader, rassembleur, planificateur, définiteur des grandes orientations et objectifs, gardien des valeurs communes, de l’équité et de la solidarité sociale… » et se déclarer en faveur d’une péréquation régionale qui garantisse l’égalité non seulement des services publics et des programmes sociaux mais aussi des taux d’emploi et du niveau salarial ?
Je me réjouis des propositions de reddition de compte, de rappel, de limite des mandats — Québec solidaire ne devrait-il pas s’appliquer à lui-même cette politique ! — et particulièrement de la limite salariale des élus. Il faut cependant se souvenir que le radicalisme de ces réformes va être fortement amoindri par la hiérarchisation du pouvoir et des revenus propre au capitalisme. Le salaire médian ne privera pas de leurs revenus les détenteurs de capitaux mais nuira aux hauts salariés… à moins de contraindre les premiers à renoncer à ces revenus pour le temps de leur mandat. La limite des mandats renforcera le pouvoir des hauts fonctionnaires… à moins de leur appliquer la même règle. Le droit de rappel est plus facile à exercer pour ceux qui peuvent mobiliser d’importantes sommes d’argent comme le démontre l’exemple de la Californie. Comme quoi, on ne peut faire l’économie d’une politique anticapitaliste qui, au Québec, passe par l’indépendance.