Depuis 1900,
quatre partis québécois de gauche ont eu des députés
Le rejet de l’indépendance explique
l’échec des trois premiers partis

 

 

Marc Bonhomme

 

Militant anticapitaliste et indépendantiste de Québec solidaire

 

 

Depuis 1900, trois partis de gauche québécois parvinrent à faire élire l’un ou l’autre député soit au parlement fédéral soit au parlement québécois.  Québec solidaire est le quatrième.  Ira-t-il plus loin que les trois premiers ?  Sur la base de leur échec, on peut tenter d’apprécier la courte histoire de ce dernier, particulièrement la démarche programmatique en cours.  On verra que les tergiversations à propos de la question nationale expliquent en dernière analyse ces trois échecs tout comme celui du Parti socialiste des années 1960.  Comme le montre le débat programmatique en cours au sein de Québec solidaire, la question y est loin d’être résolue.  Plus précisément, le débat sur la question nationale en cache un autre, celui sur la rupture systémique qui lui-même, comme dans une poupée russe, en cache un troisième, l’indépendance… de classe.    

 

 

TABLE DES MATIÈRES

Les partis nationalistes bloquent l’émergence de la gauche

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La question clef de l’indépendance… datant de bien avant la Révolution tranquille

page 3

La peur de la rupture qui nécessite d’affronter le capital dans la rue

page 3

L’indépendance vis-à-vis les partis bourgeois, fédéralistes et nationalistes

page 4

Le NPD-Q/PDS réconcilie indépendance et gauche mais s’essouffle trop vite

page 5

Rupture indépendantiste de gauche ou insipide « souveraineté populaire » ?

page 6

États généraux ou assemblée constituante ?

page 7

 

 

24 octobre 2009


Les partis nationalistes bloquent l’émergence de la gauche

 

Depuis la fin du XIX siècle, la participation des nationalistes canadiens puis canadiens-français enfin québécois à la scène électorale rivalise avec la gauche politique québécoise ou joue au saute-mouton avec elle.  Vers 1905, au groupe autour d’Henri Bourassa, appelé Ligue nationaliste (LN) pour les élections à l’Assemblée législative, s’oppose le parti Ouvrier (PO).  Au Bloc populaire (BP) d’André Laurendeau lors de la Deuxième guerre et peu après s’oppose le parti Ouvrier progressiste (POP), alias PCC, et le CCF, ancêtre du NPD.  Entre les deux guerres, le nationaliste Action libérale nationale (ALN) du milieu des années 1930 suit la résurgence du PO de 1917 à 1931.

 

Dans cette confrontation pour l’alternative, et non pour l’alternance propre au système de représentation du parlementarisme britannique, les nationalistes auront toujours, en nombre de voix, le haut du pavé.  Cependant, aucun des deux courants n’arrivera plus à faire élire des députés après la fin des années 40, que ce soit à Québec ou à Ottawa, sauf deux députés du NPD.  Dans la décennie 1960, le parti Socialiste (PSQ) sera un pétard mouillé face au RIN : ce sera flagrant au moment des élections de 1966.  Mais le RIN, malgré ses quasi 6% du vote populaire, ne réussira pas à faire élire un seul député.

 

Ce petit jeu à deux — souvent davantage en nombre de partis — dans les marges du système électoral québécois signifie la tentative réussie de la bourgeoisie de contrer la montée puis la consolidation d’un parti de gauche, dusse-t-il être de type travailliste ou social-démocrate comme le furent le PO ou le CCF/NPD et bien entendu stalinien comme le PCC/PCQ.  Dans les pays impérialistes, il a fallu qu’habituellement la bourgeoisie concède ce type de parti pour empêcher une montée révolutionnaire dirigée par un parti anticapitaliste.  La plupart du temps, mais pas au Canada, ce parti (ou cette coalition de partis) est devenu l’alternance au parti « normal » de la bourgeoisie.  Au Québec (et en Irlande), le nationalisme de l’opprimé a servi de substitut.  (Aux ÉU, c’est plutôt le nationalisme de la puissance hégémonique). 

 

Il a quand même fallu une dose de plus en plus grande de nationalisme jusqu’à contaminer le système de l’alternance.  Si la LN s’est éteinte avec la Première guerre mondiale, l’ALN est devenue très brièvement l’opposition officielle en 1935 avant d’être avalé (et trompé) par le parti Conservateur de Duplessis qui a quand même dû pour ce faire transformer son parti en « Union nationale » (UN) pour gagner les élections de 1936.  Ainsi, le nationalisme (de droite) devint-il partie prenante de l’alternance au grand dam de l’ALN plus réformiste.  Profitant de la crise de la conscription de la Deuxième guerre mondiale, le BP a tenté de prendre le relais de l’ALN mais il a été coincé entre les Libéraux très fédéralistes d’Adélard Godbout qui lui ont volé son réformisme et l’UN qui avait canalisé la colère nationaliste. 

 

Il fallut attendre la montée du RIN, qui avait volé au PSQ son programme social-démocrate, pour que la bourgeoisie se résigne à accepter un nouveau parti nationaliste plus en phase avec l’urbanisation et l’industrialisation de la société québécoise.  Le PQ est issu principalement des Libéraux nationalistes tout comme avant lui l’UN, dont les restants d’ailleurs rallièrent le PQ, malgré son chef Conservateur — mais le PQ a fini par avoir lui aussi son chef charismatique issu des rangs Conservateurs.  PQ comme UN ont débuté en trombe comme des partis dit progressistes avant de finalement montrer leur caractère droitiste.  Par contre, comme l’aile fédérale du PQ, le Bloc, n’a aucune prétention au pouvoir, il peut continuer d’osciller entre populisme de gauche et de droite.

 

S’il y a une différence importante entre l’époque de l’UN et celle du PQ, il est du côté de la modernisation rapide de la société québécoise depuis la Deuxième guerre, particulièrement la mue idéologique et politique de la dite Révolution tranquille au point de poser la question de la souveraineté nationale non plus en termes d’autonomie mais d’indépendance.  Mais la souveraineté-association/partenariat du PQ n’est-elle pas de l’autonomisme glorifié pour s’ajuster à une bourgeoisie qui, contrairement au peuple québécois, n’a jamais tendu vers l’indépendance ?

 

 

La question clef de l’indépendance… datant de bien avant la Révolution tranquille

 

Si depuis plus d’un siècle la bourgeoisie a su tirer le tapis sous les pieds de la gauche politique, n’est-ce pas parce que celle-ci n’a jamais fait sienne la revendication de l’indépendance nationale ?  On dit souvent que la grève générale de Winnipeg de 1919 fut l’écho au Canada de l’Octobre russe de 1917 et de la montée révolutionnaire allemande et italienne.  Dans le sillage de la crise de la conscription, est-ce qu’en 1918 la motion indépendantiste du député Libéral Francœur à l’Assemblée législative suivie de l’émeute de Québec contre l’armée canadienne n’en furent pas l’écho québécois… en continuité historique avec la proclamation de l’indépendance par les Patriotes de 1838 ? 

 

L’inféodation des partis de gauche québécois à leur contre-partie canadienne — PO, CCF/NPD et PCC furent des ailes des mêmes partis canadiens — au nom d’une mythique unité de la classe ouvrière aveugle à l’oppression nationale, qui dresse une muraille de Chine en son sein, amènera les partis de gauche à systématiquement abandonner aux nationalistes le champ crucial de la lutte pour la libération nationale.  Même le PSQ des années 60 qui se sépara du NPD-Québec sur le refus de ce dernier de reconnaître le droit à l’autodétermination du Québec et l’autonomie de l’aile québécoise, n’osa pas aller plus loin que la formule des « deux États Associés ». 

 

Opportuniste, le RIN, ayant compris que la jeunesse d’après-guerre et le nouveau prolétariat urbain ne mordait plus au nationalisme traditionnel du Chanoine Lionel Groulx, accola le programme social-démocrate du PSQ à l’indépendantisme dont il l’était l’incarnation quitte à laisser scissionner son aile droite qui forma le Rassemblement national (RN).  Le PSQ détruit, le RIN devint le marche-pied du PQ pour lequel il se saborda sans condition — son ex-chef en fut même tenu à l’écart pendant des années — pendant que la nouvelle direction péquiste déroula le tapis rouge au RN et plus tard à l’UN.  Encore une fois, la bourgeoisie avait remporté la mise. 

 

Le PQ finit par faire dévoyer dans l’électoralisme l’immense mobilisation générée par le blocage de la dite Révolution tranquille en 1966 avec le retour de l’UN au pouvoir.  Cette mobilisation, que l’on pourrait qualifier de phase prolétarienne de la dite Révolution tranquille, fut lancée par les États généraux de 1967.  Après de grandioses manifestations nationales et toute une série de grèves culminant dans la grève générale du secteur public en 1972, elle s’acheva par la défaite de la dure occupation de l’usine Pratt et Whitney et fut close par l’élection du PQ en 1976.  La bourgeoisie avait vaincu le mouvement de la rue.

 

 

La peur de la rupture qui nécessite d’affronter le capital dans la rue

 

D’où vient le refus historique de la gauche politique québécoise d’assumer la lutte pour la libération nationale ?  On peut certes invoquer une compréhension mécanique de l’internationalisme qui invite à subordonner la question nationale (et des femmes…) à la dite question sociale, comme si celle-ci pouvait exclure une partie d’elle-même parce que prédomine au sein de la gauche politique un point de vue étroitement socio-économique.  La question nationale en devient une contradiction secondaire, une réserve, un moyen.  En un mot, sa résolution est reportée aux Calendes grecques… ou à l’Assemblée constituante.

 

Reste que la théorie est une cristallisation de la pratique qui en retour ne cesse de la modifier.  Pratiquement, les directions des petits partis de gauche québécois depuis plus de cent ans ont toujours refusé une politique de rupture avec le capital en faveur d’une politique de réforme de celui-ci.  Souvent ces réformes étaient radicales, jusqu’à par exemple la nationalisation des banques, des services publics et des ressources naturelles pour le PO d’après 1917 avec ses 7 000 membres au Québec qui obtint à l’élection québécoise de 1919 plus de 8% des votes exprimés (un grand nombre de Libéraux furent élus par acclamation) et fit élire deux députés.  Mais il n’était pas question pour ces partis de rompre avec le capitalisme.

 

Il eut bien de rares dirigeants qui ont résisté mais en vain.  On pense à Albert Saint-Martin, cette figure héroïque et tragique brièvement co-dirigeant, vers 1905, du PO dont il fut expulsé, initiateur des premières manifestations du premier mai peu après, dirigeant du mouvement des chômeurs avant la Première guerre, fondateur et animateur de l’Université ouvrière à la fin des années 20 et début des années 30.  Comme dirigeant de la section québécoise du parti Socialiste d’avant la Première guerre, Albert Saint-Martin a toujours compris la nécessité de l’autonomie organisationnelle du prolétariat canadien-français au point de refuser d’adhérer au nouveau parti Communiste pan-canadien, qui refusait cette autonomie par principe, malgré son appui enthousiaste de la révolution russe et une attitude non-sectaire de collaboration avec ses militants au Québec.  

 

Le refus de l’indépendantisme tant par les directions de la gauche politique que par la bourgeoisie se base, en dernière analyse, sur le fait qu’il est une rupture qui ouvre la porte à une dynamique de rupture plus profonde, plus sociale, parce qu’elle met tout un peuple en mouvement.  C’est pour arrêter/contrôler le début d’un tel mouvement que la bourgeoisie a laissé se développer l’UN et le PQ comme ailleurs dans le monde elle a dû consentir au développement des partis sociaux-démocrates et tolérer les partis staliniens une fois ceux-ci engoncés dans le piège du Front populaire avec la bourgeoisie dit progressiste qui les menaient par le bout du nez.  Pas plus que les petits partis de gauche alternatifs, ces deux grands partis nationalistes de l’alternance n’ont été indépendantistes.  Ils n’en ont qu’entretenu l’illusion avec leur « égalité ou indépendance » de Daniel Johnson père et « souveraineté-association/partenariat » de René Lévesque à Lucien Bouchard.

 

 

L’indépendance vis-à-vis les partis bourgeois, fédéralistes et nationalistes

 

Le refus de la rupture indépendantiste par les directions des PO, CCF/NPD et PCC/POP se conjugue au plan organisationnel par le refus d’une politique d’indépendance de classe sans aucune accointance avec les partis de la bourgeoisie, fédéraliste ou nationaliste.  Les députés du PO vont rapidement s’allier avec soit les Libéraux soit les Conservateurs au point pour l’un des deux élus de 1919 de devenir ministre du gouvernement Libéral d’Alexandre Taschereau et pour le dernier élu de ce parti en 1927 de finir sa carrière comme ministre du Travail de Maurice Duplessis en 1936.  Le CCF/NPD n’a jamais craint de soutenir les Libéraux en situation minoritaire, par exemple certains gouvernements de Leaster B. Pearson et de Pierre-E. Trudeau, et plus récemment de Paul Martin… et même de sauver le gouvernement Stephen Harper.  Quant au POP/PCC, comme le CCF, il soutint à fond la politique de guerre des Libéraux de Mackenzie King au point de s’opposer aux grèves.

 

L’absence d’indépendance de classe s’est dramatiquement manifesté en 1955 au congrès d’une des deux fédérations ancêtres de la FTQ, celle liée à la CIO des ÉU, qui est venue à deux cheveux de « la formation d'un troisième parti politique dans la Province de Québec [ayant] un caractère socialiste et démocratique… » (libellé de la résolution).  Faut-il se surprendre que le lendemain de ce triste vote, « le Parti Libéral, alors dans l'opposition, célébrait dans son journal "La Réforme", l'avortement du projet de formation d'un parti ouvrier. » :

« Selon cette "logique" de l'appui au parti "le plus près de nous", dans les années '60, la CSN et la FTQ (en 1963) appuyaient le Parti Libéral de Jean Lesage et René Lévesque contre l'Union Nationale. […] Il faudrait maintenant, selon la même "logique" appuyer le PQ du même René Lévesque, le parti qui est "le plus près de nous", le plus démocrate, le plus propre. Et ainsi de 10 ans en 10 ans, l'histoire se répète sans que le mouvement ouvrier ne fasse un pas dans le sens de son émancipation. » (Louis Gill, avril 1976)

 

Peut-on imaginer que le mouvement syndical, au moins en partie, eut suscité ce parti travailliste de masse ; que ce parti, confiant en lui-même, détaché organisationnellement des partis bourgeois, fédéraliste et nationaliste, libre de tout lien de dépendance avec un parti-père canadien, eut évolué vers le soutien à l’indépendance nationale ?  Ne doutons pas un instant de l’âpreté des débats qu’il aurait fallu pour y arriver et ni non plus, et surtout, pour donner à cette indépendantisme un caractère de classe pour en faire une indépendantisme de gauche, de libération nationale et sociale, une rupture à la fois de l’oppression fédérale mais surtout de l’exploitation capitaliste en commençant par l’expropriation des banques.  La grande ampleur de la mobilisation qui a suivi dix ans plus tard cette fatidique décision montre que cette évolution eut été tout à fait possible.

 

 

Le NPD-Q/PDS réconcilie indépendance et gauche mais s’essouffle trop vite

 

L’histoire de la gauche politique québécoise indique quel doit être l’orientation générale d’un parti de gauche aujourd’hui.  La grande nouvelle est que les déboires néolibéraux du PQ, lesquels ont ouvert la porte à son renoncement à tout semblant de prétention à une stratégie souverainiste, ont créé un espace pour la création d’un parti de gauche crédible issu du mouvement populaire et non inféodé à un parti canadien.  Cet espace s’état fermé lors de la fondation du PQ à la fin des années 60 et encore plus avec son accession au pouvoir en 1976, d’où l’échec du Mouvement socialiste du début des années 80, d’autant plus que la consolidation de l’ère péquiste coïncidait avec la montée du néolibéralisme et les dégâts causés chez une grande partie des plus militants de la gauche par la brève mais intense emprise maoïste. 

 

Il faut signaler ici la contribution pionnière du NPD-Québec qui, en 1989, se scinda du parti-père fédéral et peu après opta pour l’indépendance du Québec après avoir défendu au milieu des années 1980 « la convocation d'une assemblée constituante suivi d’un référendum visant à négocier d'égal à égal avec le Canada une nouvelle confédération » (Wikipédia).  Ainsi était enfin dépassé le blocage du PSQ des années 1960.  De cette première rupture découla logiquement la seconde, même partielle, soit celle d’avec le capitalisme.  D’où le changement de nom à Parti de la démocratie socialiste (PDS) en 1995. 

 

C’est le PDS qui, s’appuyant sur l’importante mobilisation du Sommet des peuples à Québec en 2001 et sur la chance d’une élection partielle dans un comté propice au même moment laquelle démontra hors de tout doute le potentiel électoral d’un parti indépendantiste de gauche, fut le fer de lance de la fondation de l’Union des forces progressistes (UFP).  La grande erreur stratégique du PDS fut de sacrifier volontairement son orientation d’indépendance tant vis-à-vis du fédéral que du capital au nom de l’unité avec les déçus du PQ et avec le PCC/PCQ.  En découla un consensuel souverainisme utilitaire qui ouvrit la porte au social-libéralisme et à l’électoralisme de l’actuel Québec solidaire (voir mon essai « Le refus de confronter le capitalisme néolibéral et fédéral » à www.marcbonhomme.com) qui résulte de la fusion par le haut de l’UFP et d’Option citoyenne au mépris de toute discussion programmatique à la base au moment du processus de fondation.

 

Si la poussée altermondialiste puis anti-guerre du début du nouveau siècle avait poussé à la fondation de l’UFP puis de Québec solidaire, la défaite stratégique du mouvement syndical juste avant la fondation du parti en février 2006 a créé un quasi désert social propice à l’approfondissement de l’électoralisme et du social-libéralisme qui a consolidé la grave erreur de départ du PDS.  Mais comme Québec solidaire n’a plus le choix d’enfin procéder à l’élaboration de son programme après avoir tergiversé pendant trois ans, rien n’est perdu.  La bonne nouvelle est qu’avec l’amorce du réel débat sur le programme au sein des instances statutaires, la chape de plomb du consensus est en train de se briser même si elle n’avait peut-être jamais pesé au sein de la direction… mais l’opacité de celle-ci ne permet pas de l’affirmer sauf pour les initiés dont je ne suis pas. 

 

 

Rupture indépendantiste de gauche ou insipide « souveraineté populaire » ?

 

La mauvaise nouvelle est que ce débat, au lieu de s’ouvrir à gauche vers un indépendantisme bien entendu anti-fédéraliste mais surtout anti-capitaliste, s’ouvre à droite par une contre-offensive fédéraliste et électoraliste exploitant à fond la contradiction fondamentale entre but et stratégie du « cahier de perspective », celle entre un but proposant une rupture indépendantiste et une stratégie électoraliste de la continuité soit la sainte trinité ‘élection d’un gouvernement QS / assemblée constituante / référendum’. 

 

Cette stratégie ne se différencie de la stratégie péquiste que par la forme en substituant l’assemblée constituante au référendum.  La raison d’être de ce grand écart du « cahier de perspective » réside dans la contradiction entre l’indépendantisme historique auquel aspire le peuple québécois depuis la défaite des Patriotes, qui près de deux siècles plus tard a pris une tournure anticapitaliste, et le « confort et l’indifférence » de cette « république des satisfaits » bureaucratique qui contrôle centrales syndicales, fédérations populaires et partis nationaux de gauche.      

 

Avec un « cahier de perspective » rédigée pour noyer le poisson de l’indépendance dans un océan de phraséologie qui cache une continuité institutionnelle masquant une aspiration au statu-quo et devant être débattu en un petit mois suite à une démarche dite consensuelle d’un an de « cercles citoyens » finalement écartés de facto, l’astuce de la direction nationale voulait éviter toute contestation de fond.  Croyant plus facile un consensus sur la question nationale pour laquelle des débats de fond et difficiles avaient eu lieu dans les deux organisations ayant fondé Québec solidaire, la direction avait écarté les questions cruciales de l’économie et de l’écologie.  Non seulement anticipait-elle ces questions plus divisives mais surtout elle réalisait que les amalgamer à la question nationale invitait à donner un sens socio-économique, donc anticapitaliste, à la revendication de l’indépendance.  Valait mieux garder le sujet chaud de l’indépendance sur le terrain des affaires constitutionnelles donc compatible en apparence avec la stratégie électoraliste de la sainte trinité.

 

Croyant pouvoir sceller par avance le débat sur les questions économique et écologique par un fait accompli, astucieusement encore une fois pendant que les membres étaient accaparés par le débat sur la question nationale, la direction nationale publiait en parallèle et sans aucune consultation et débat un manifeste anti-crise tout à fait social-libéral mais habillé de phraséologie anticapitaliste (voir ma critique « Discours anticapitaliste, plan anti-crise social-libéral » à www.marcbonhomme.com).  Oh surprise, c’est le débat sur la question nationale qui rebondit.  Constatant les reculs et tergiversations de la direction nationale, ce sont finalement les fédéralistes, autour de l’ancien président du Conseil central de la CSN du Montréal métropolitain, soutenu par deux dissidents pragmatiques de la direction nationale pour qui la tactique et l’organisation sont tout et la stratégie rien, qui ont rompu le consensus sur la question nationale que l’on croyait solide.

 

Au moment d’écrire ces lignes, la direction nationale édulcore l’idée d’indépendance afin de rétablir le consensus en mettant en relief la vague et ambiguë Déclaration de principes qui réduit l’indépendance à une « souveraineté-moyen du projet social » au lieu d’en faire la revendication clef de la libération du peuple québécois de l’oppression fédérale et de l’exploitation capitaliste.  En fait, la direction nationale avait déjà préparé le terrain à la contre-offensive fédéraliste/pragmatique en popularisant son nouveau concept vertueux et insignifiant de « souveraineté populaire/solidaire » aux dépens de l’énoncé souverainiste déjà mou de la Déclaration de principes.  Qui n’est pas, en effet, pour la souveraineté du peuple à moins de s’opposer à la démocratie ?  Comment ne pas reconnaître le parallèle entre la souveraineté-association/partenariat du PQ et la souveraineté populaire/solidaire de la direction de Québec solidaire comme étant la même méthode pour noyer l’indépendance ?

 

 

États généraux ou assemblée constituante ?

 

Le concept de « souveraineté populaire » est une manœuvre permettant de pelleter en avant, vers l’Assemblée constituante, les difficiles décisions.  Par petite dose on en revient à la position du NPD-Québec de 1985 à cette différence près que celle-ci était alors un pas en avant.  On reconnaît là le refus d’assumer la rupture d’avec le fédéralisme néolibéral, et par-delà d’avec le capitalisme.  Si on assumait ces ruptures, la direction nationale proposerait immédiatement un programme, une organisation et une méthode d’affrontement avec le capital pour sortir de la crise économique et pour commencer à diminuer radicalement les émanations de gaz à effet de serre et la destruction de la biodiversité. 

 

En 1967, les États généraux avaient été la plate-forme de lancement de la grande mobilisation d’alors.  Pourquoi ne pas faire une campagne politique dès maintenant pour des États généraux du mouvement populaire pour à la fois contrer la contre-offensive Libérale de coupures/tarification, dont les syndicats du secteur public seront les premières victimes, et organiser l’offensive contre la crise ?  La direction de Québec solidaire propose plutôt de remettre aux Calendes grecques le débat sur les États généraux et de le remplacer par une campagne d’éducation populaire sur l’Assemblée constituante qui, rappelons-le, nécessite au préalable l’élection d’un gouvernement Québec solidaire. 

 

Cependant, la stratégie de la sainte trinité de la direction de Québec solidaire n’est pas conçue comme l’aboutissement d’un grand mouvement de la rue comme ce fut le cas au Venezuela, en Bolivie et en Équateur.  Elle s’inscrit plutôt dans la continuité institutionnelle d’où le retour lancinant de la question typiquement péquiste du bon gouvernement de gauche qui doit gouverner avant le grand soir du résultat, anticipé positif, du référendum constitutionnel, résultat présumé reconnu gracieusement par l’ennemi… sans doute comme au Venezuela et en Bolivie ! 

 

Il ne suffit pas de promettre de tenir l’Assemblée constituante le plus tôt possible dans le mandat, comme disait la direction péquiste du temps de Bernard Landry à propos de la tenue du référendum, pour balayer le problème sous le tapis.  En leurs moments plus lucides avant d’être respectivement Premier ministre et Chef de l’opposition, Jean Charest et Pauline Marois parlaient à juste titre de « trou noir » et de « turbulences ».  La direction de Québec solidaire est-elle à ce point idéaliste qu’elle confond la réalité des rapports de forces sociaux avec les formelles joutes parlementaires ?  Est-elle à ce point électoraliste qu’elle décroche des souffrances, des préoccupations et des combats populaires ?