Deux pas en
avant, un pas en arrière… ou le contraire ?
Il ne s’agit pas de faire une éloge dithyrambique à la mode de Presse-toi-à-gauche ni une diatribe nationaliste à la mode de l’Aut’Journal du congrès programmatique de Québec solidaire des 20-22 novembre 2009 à Laval portant principalement sur les questions nationales québécoise et aborigène (autochtone et inuit). Il s’agit de faire une analyse des débats, décisions et élections de la nouvelle direction en fonction de l’approfondissement ou non par Québec solidaire de son orientation antilibérale et souverainiste, se déclinant sur un mode écologiste, féministe et altermondialiste, et de sa transformation ou non en parti de la rue fonctionnant selon le principe de la démocratie participative. Vite dit, la base poursuit son évolution contradictoire vers la gauche mais la direction nationale se consolide dans le statu-quo social-libéral et dans l’ambiguïté de la « souveraineté populaire ». La question à poser à la conclusion du congrès ? Le choix de l’indépendance, ou presque, par les congressistes mènera-t-il à l’indépendantisme de gauche ?
1. La première bonne nouvelle est que depuis le congrès de juin, et spécialement depuis septembre, l’étouffant consensus se lézarde. Deux membres de l’exécutif se sont opposés au fondement indépendantiste du texte de la Commission politique, ce qui a ouvert le débat, même si c’était du côté droit, au point que non seulement le fédéraliste ex-président du Conseil central de la CSN du Montréal métropolitain, mais aussi qu’un ex-expulsé comme moi, anticapitaliste et indépendantiste, ont pu faire publier leurs textes non pas sur l’intranet mais sur l’internet du site web du parti. On est très loin de la démission quasi-forcée de l’ex-président de l’UFP en 2006 de la direction nationale parce qu’il avait durement critiqué publiquement l’attentisme de la direction nationale sur l’Afghanistan alors que le NPD avait pris partie pour le retrait immédiat des troupes, exigence que la courageuse députée afghane Malalai Joya, en tournée au Canada et au Québec, demande de renouveler. Tout un changement par rapport à mon expulsion unilatérale par la direction nationale, qui s’était instaurée juge et partie, rejetée par le comité d’appel du Conseil national parce que le processus employé ne respectait pas « les principes de la justice naturelle ».
2. Le démocratique cahier final de synthèse et la bonne organisation du congrès, à l’erreur près d’avoir fait une plénière portant à la fois sur la question de l’indépendance, qui a monopolisé les interventions, et sur la stratégie, sur laquelle personne n’est intervenu d’où un malheureux vote positif remporté de justesse ont partiellement racheté la méthodologie à peine démocratique du processus du programme. Ce processus divorçait les questions nationales de la question sociale, contournait les instances statutaires de base par des « cercles citoyens », ou groupes d’affinité, dont la synthèse du congrès de juin 2009 avait de toute façon marginalisé, tronqué ou rejeté les contributions, proposait aux instances statutaires de base en septembre un « cahier de perspective » fourre-tout et unilatéral qui ignorait sciemment les débats et votes indicatifs du congrès de juin, et finalement prévoyait une trop brève période de débat véritable avant-congrès. Même tronquée de la question sociale, donc réduit à une affaire constitutionnelle / institutionnelle, et malgré de légitimes frustrations le débat de fond sur la question nationale a pu se faire.
3. La résistance de la base, qui n’est pas nouvelle, à la direction nationale a permis d’avancer politiquement. C’est cette résistance qui avait forcé la direction nationale à proposer le retrait des troupes de l’Afghanistan, à soutenir la nationalisation de l’industrie éolienne, qui a refusé mon expulsion et ensuite une structure parallèle de dénonciation et de surveillance de la dissidence. Cette fois-ci, la base a refusé à la direction nationale de procéder à une série de modifications partielles des statuts par le Conseil national, alors que cela est statutairement une prérogative du Congrès, suite à l’expérience désagréable du congrès de juin 2009 (Il fut très habile de la part de la présidente-porte-parole de renoncer au couronnement centralisateur d’être membre statutaire de l’exécutif… après avoir obtenu l’essentiel de ce qu’elle voulait au congrès de juin en devenant à la fois porte-parole principale et présidente).
4. La base a pris une position claire sur les rapports entre laïcité et droits religieux, à mon avis très satisfaisante, malgré la tentation de la direction de référer le tout pour ne pas offusquer ni les « ultra-laïcs » et ni les « communautaristes ». Le débat pré-congrès avait déjà amené la direction à renoncer au concept communautariste de laïcité interculturelle ou ouverte en faveur de celui de laïcité de l’État ou institutionnelle reniant ainsi son appui élogieux du cadre d’analyse de la commission Bouchard-Taylor. La pleine reconnaissance des droits individuels d’expression religieuse dans les institutions publiques sous certaines réserves de prosélytisme, de capacité de communiquer et de sécurité, combinée à la résolution sur les droits des immigrantes, tient amplement compte de la nécessaire lutte contre l’islamophobie sans remettre en question la conquête inachevée de la laïcité depuis les années 60. Enfin, et surtout, il faut se souvenir que suite à l’offensive des fédéralistes et surtout à celle de pragmatiques/réalistes de la direction, la direction nationale, toujours à la recherche du consensus, avait reculé sur l’affirmation de l’indépendance proposée par son « cahier de perspective », tournant qu’a refusé le congrès.
5. L’acceptation du mot « indépendance », au même titre que « souveraineté », est cruciale même si cette avancée est fragile et pourrait être remise en question en l’enterrant encore une fois par le concept faussement rassembleur de « souveraineté populaire » par l’Assemblée constituante. Les fédéralistes et autres centristes, qui ont été battus à plate couture — ce qui est très positif — ne s’y sont pas trompés. Le geste dramatique de leur chef de file de quitter le congrès n’est pas une mauvaise nouvelle. J’ai été impressionné par la détermination des congressistes à résister aux pressions consensuelles de la direction, au chantage des fédéralistes durs, à se sortir du guêpier d’un processus programmatique handicapant et tronqué, pour affirmer leur volonté d’indépendance au point de presque battre la notion péquiste de « souveraineté ».
6. Il faudra, dans la prochaine étape de l’élaboration du programme, définir concrètement cette indépendance comme une indépendance de gauche, anticapitaliste et écosocialiste. Le but est que l’indépendance de gauche devienne le fil de plomb, la clef de voûte de l’ensemble de notre programme. L’indépendance est en effet nécessaire pour venir à bout de la crise économique car pour cela il faudra exproprier les banques qui sont sous juridiction fédérale. Au lieu d’une politique monétaire (taux d’intérêt et taux de change) faite sur mesure pour le développement des sables bitumineux, le Québec pourra se doter d’une banque nationale contrôlée démocratiquement. N’en déplaise à la direction de la FTQ et à ses conseillers économiques des grandes banques et des grandes écoles qui souhaite remplacer le huard par le dollar, le Québec aurait ainsi sa propre monnaie et contrôlerait la circulation interne et externe des capitaux. L’indépendance sera nécessaire pour reconstruire nos relations avec les nations autochtones et inuit sur une base égalitaire et inter-nationale, relations aussi essentiellement sous juridiction fédérale. Last but not least, elle est indispensable pour construire un Québec écologique dans le cadre des objectifs supérieurs des réductions des émissions de gaz à effet de serre du GIEC, soit 40% en 2020 par rapport au niveau de 1990. Car comment y arriver dans un Canada dont l’économie et la politique carburent aux sables bitumineux ?
7. La partielle percée indépendantiste reste subjuguée par l’électoralisme qui domine pour ne pas dire qui écrase le « parti de la rue ». Incontesté, l’électoralisme s’incarne dans la sainte trinité élections d’un gouvernement Québec solidaire / Assemblée constituante / référendum. Cette sainte trinité se cristallise dans le concept de « souveraineté populaire » qui permet le grand rassemblement consensuel reportant aux Calendes grecques le débat politique entre rupture indépendantiste et continuité constitutionnelle forcément (sociale)-libérale. (Pour le PQ, l’enjeu du référendum dans le prochain mandat est un enjeu réel étant donné la réalité des deux précédents référendums et la possibilité de son accession au pouvoir parlementaire lors des prochaines élections. Pour Québec solidaire, étant donné sa stagnation électorale et celle de son nombre de membres, et la concomitante panne généralisée de la riposte sociale, l’enjeu formellement parallèle et alternatif de la sainte trinité est une mythique fuite en avant permettant d’abrier toutes les contradictions dont celle sur la question nationale.)
8. Cette sainte trinité électoraliste a été renforcée par ce malheureux vote gagné de justesse et précédé d’aucun débat favorisant une campagne d’éducation politique sur l’Assemblée constituante, ce qui pourrait conduire le parti dans une situation ridicule en porte-à-faux avec la réalité sociale de crises économique et écologique. La possibilité d’une Assemblée constituante suppose un grand mouvement de mobilisation populaire préfiguré par celui de la période 1966-1976, ce qui signifie que l’Assemblée constituante sera une Assemblée constituante pour un Québec indépendant de gauche ou elle ne sera pas. La contribution du parti à la construction d’une telle mobilisation aurait dû être au cœur d’une discussion pour une campagne politique à amorcer dès maintenant. Ma proposition d’États généraux soutenue par un « cercle citoyen » d’une quinzaine de personnes, tronquée et récupérée par la pseudo-synthèse du congrès de juin, allait dans ce sens. Indépendance de gauche par la rue ou souveraineté populaire électoraliste, tel est l’enjeu du débat stratégique.
9. Cet électoralisme a corrompu le débat sur la question nationale aborigène. L’affirmation dans la même phrase de la remise en question de l’intégrité territoriale du Québec et de « la nécessaire cohabitation sur un même territoire », loin de clarifier le droit à l’autodétermination des nations aborigènes, approfondit l’ambiguïté. Ces nations auraient théoriquement le droit à l’indépendance mais en pratique nos nations seraient à ce point imbriquées les unes dans les autres que leur droit à l’autodétermination serait impraticable. Or comme la nation québécoise est démographiquement et économiquement dominante, les nations aborigènes seraient irrémédiablement condamnées à la domination. Un « cercle citoyen » dont j’étais l’initiateur, complètement ignoré par le cahier de perspectives de septembre, avait pourtant fait une proposition combinant d’une part un droit à l’indépendance non-équivoque et d’autre part une offre de co-habitation dans une république fédérée partageant des territoires exclusifs et surtout communs. En approfondissant les silences chauvins de sa Déclaration de principes, Québec solidaire ne passe pas le test d’une gauche conséquente rompant avec le nationalisme péquiste car une indépendance de gauche est une indépendance internationaliste, peu importe les belles résolutions sans conséquence pratique sur la question palestinienne en appui à la campagne BDS, si bienvenue et utile soit-elle.
10. Ce même électoralisme, se combinant cette fois-ci non pas à un chauvinisme national mais à un manque de conscience de l’oppression nationale québécoise, a amené les congressistes à reconnaître les privilèges de la minorité anglo-québécoise comme des droits, ce qui n’aurait pas signifié qu’il faille les bulldozer, encore moins ne pas reconnaître le droit des minorités à être soigné dans leur langue mais dans un système de santé entièrement francophone, et la nécessité de l’apprentissage fonctionnel de l’anglais et même de son usage au niveau post-secondaire mais dans un système uniquement francophone. (Il faudrait se souvenir du mouvement pour un McGill français.) Il est remarquable comment les motifs qui ont été votés sans débat pour rejeter le fédéralisme canadien (Bloc N, décision 6) effleurent à peine la question de l’oppression nationale, la confondant faussement avec notre statut minoritaire — heureusement qu’on n’a pas eu recours au différentialisme nationaliste propre au PQ — et ne font nullement appel à une compréhension historique de l’oppression nationale qui seule permettrait de la fonder. Pourtant, le matériel historique et conjoncturel est abondant de la Conquête au récent jugement de la Cour suprême contre la loi 104 — aucune intervention du plancher n’a soulevé ce point… sauf votre serviteur — en passant par la révolte de 1837-38, les luttes contre la conscription, la « nuit des longs couteaux » de 1982, le charcutage de la loi 101 qui continue, et la loi dite de la clarté.
11. Ce manque de conscience et de compréhension de l’oppression nationale me paraît être un sérieux problème qui conduit à minimiser la nécessité de la libération du peuple québécois. À la racine de ce problème se trouve, à mon avis, le manque de conscience de classe. Le concept de « nation » englobe pauvres et riches, prolétaires et bourgeois. L’oppression nationale des riches et des bourgeois est réelle mais n’a rien pour eux de fondamental par rapport à l’exploitation de « leurs » prolétaires. La prédominance de l’idéologie nationaliste amène toutefois les (petits)-bourgeois à définir la nation auprès du « peuple », c’est-à-dire ceux et celles pour qui exploitation et oppression nationale sont intimement liées. C’est la raison d’être du PQ. Le réflexe conditionné de la gauche est de rejeter le bébé avec l’eau sale du bain, la réalité de l’oppression nationale avec l’idéologie nationaliste. L’indépendance de gauche rejette seulement le nationalisme. L’indépendance de gauche signifie le rejet du PQ et de ses « intellectuels », en faveur de la direction politique de la nation par le peuple à travers son ou ses partis liés organiquement à ses organisations populaires par une grande mobilisation sociale jusqu’à et y compris la grève générale politique.
11. Faut-il alors se surprendre du manque de vigueur du parti à défendre le français comme langue de travail, du moins jusqu’à tout dernièrement ? Mais on attend toujours des propositions claires de la direction nationale pour forcer les grandes entreprises à faire prédominer l’usage du français du bas en haut de leur hiérarchie en plus de la francisation des entreprises de moins de 50 employés. Il ne suffit pas à un parti de dénoncer, il lui faut aussi proposer. Une telle offensive serait nécessaire pour justifier une tout aussi nécessaire proposition d’interdiction de l’accès du cégep anglophone aux allophones et francophones tant que le privilégié système d’enseignement post-secondaire anglophone continue d’exister et de se développer. Plus vite disparaîtra le système d’enseignement anglophone et plus vite le français deviendra la langue nettement dominante du monde du travail, plus rapidement disparaîtra la malheureuse et nécessaire contrainte au libre choix sur le dos des allophones (et des francophones). Le peuple québécois ne peut pas laisser s’angliciser l’Île de Montréal, le cœur économique, social et politique de la nation, anglicisation qui n’a rien de volontaire mais qui est contrainte par les rapports de forces économiques et politiques.
12. Le principal point négatif du congrès est la non-élection de la nouvelle direction car aucun poste n’a été contesté contrairement aux deux élections précédentes. Les candidates et candidats n’ont donc eu qu’à produire une feuille de renseignements de moins d’une page dont l’emphase était la biographie et non pas leurs positions politiques. Le moment prévu pour présenter leurs positions et répondre aux questions — à l’heure du dîner ! — a été annulé. Sauf erreur, à l’exception de la représentante du comité des femmes, la nouvelle direction ne comportera aucune personne de moins de 30 ans et aucune personne en dehors de la région de Montréal, si ce n’est de l’Île de Montréal, et de l’Outaouais. À cet égard, le processus de parité femme-homme a été coûteux. On note la grande uniformité socio-économique de sa composition, plus encore que la direction sortante, où le travail de la majorité de ses membres est lié au travail communautaire. Il n’est pas rassurant de constater que la seule militante syndicale est une permanente du Fond de solidarité de la FTQ, un fond de capital de risque grassement subventionné par l’État.
13. Préoccupant est aussi la composition presque entièrement « blanche » de la nouvelle direction nationale à l’exception près du porte-parole député, et québécoise de souche à une autre exception près, alors que la direction issue du congrès de fondation comportait quatre personnes issues des dite « minorités visibles » telles que définies par Statistique Canada. Cette réalité reflète en grande partie la composition même du congrès, ce qui est symptomatique de la réalité de la gauche politique souverainiste. La solution de facilité est de blâmer l’option souverainiste alors que celle-ci n’est que la fièvre salutaire qui exprime la maladie. La maladie n’est ni le souverainisme ni l’indépendantisme mais le nationalisme dont cette gauche n’arrive pas à se guérir d’où le continuel ascendant du PQ, particulièrement de Jacques Parizeau, en son sein. Le remède à cette maladie n’est pas le « fédéralisme de gauche », une contradiction dans les termes comme si la défense de l’oppression pouvait se combiner avec la lutte contre l’exploitation, mais l’indépendantisme de gauche dont la base est l’internationalisme tant vis-à-vis les peuples aborigènes et les « minorités visibles » que les peuples du monde, tant le peuple palestinien que le peuple canadien-anglais et la minorité anglo-québécoise.
14. Le pire, cependant, est de constater la tiédeur indépendantiste de la nouvelle direction. La nouvelle direction est plus tiède à cet égard que celle qui l’a précédée où au moins le responsable à l’orientation était un indépendantiste convaincu, ce qui n’est plus du tout le cas. On note que les deux membres qui avaient contesté le caractère indépendantiste du Cahier de perspective, loin de quitter, restent en place avec des responsabilités importantes. Quand on sait que l’ardeur indépendantiste est particulièrement forte dans les « régions » proches (de Montréal) et éloignées, on ne peut faire autrement que de constater une corrélation entre l’indépendantisme tiède de la nouvelle direction et sa composition géographique très biaisée. Il me semble que la grande contradiction interne de la prochaine période sera celle entre le renforcement indépendantiste de la base et son affaiblissement au sommet.
15. Il sera d’autant plus important pour la deuxième étape du processus programmatique que la base s’assure de la pleine participation des instances statutaires locales et régionales dès le départ, y compris la possibilité de faire rapidement des propositions connues de tous par l’intermédiaire du site Internet, sans attendre les textes venant du sommet lesquels, sauf les synthèses (démocratiques), ne doivent être que des références et non des cadres de discussion. La lutte pour l’indépendantisme de gauche n’a pas besoin du slogan de la démocratie participative mais de sa réalité.
16. Ma grande crainte est que la nouvelle direction fasse tout en son pouvoir pour reconsolider le consensus autour de son électoralisme social-libéral et souverainiste populaire. Elle a des armes puissantes que sont l’idéologie du consensus qui reste forte dans le parti même si ce sera sous une forme de plus en plus nostalgique et, last but not least, le vedettariat médiatique de ses porte-parole. Ces deux armes pourraient au besoin être combinées pour arbitrer entre membres à carte / électorat d’une part et militantes et militants d’autre part, méthode à laquelle les chefs péquistes ont souvent eu recours. La lutte pour l’indépendantisme de gauche vient de commencer.