À
sa réunion du 9 février 2011, le Comité de coordination de la région de
Montréal de Québec solidaire a voté de « relancer la campagne “couragepolitique.org” » contre le
budget Libéral tout en l’enrichissant.
Il a aussi décidé de proposer au prochain congrès de la fin mars « de
mandater la Commission thématique sur l'économie de préparer une proposition de
budget alternatif pour la fin août, la tenue d'un conseil national cet automne
pour adopter un budget alternatif et de faire une campagne en vue du budget
2012-2013. »
Même
si les deux résolutions du Comité de coordination ne sont pas formellement
liées, elles le sont logiquement à moins de supposer deux campagnes à la file
sur le même thème mais avec des contenus qui risquent d’être fort différents et
même contradictoires. Pour
reprendre dès cette année la campagne couragepolitique.org il faudrait au moins la bonifier par
les dépenses sociales proposées lors de la campagne électorale de 2008 et
celles prévues par le plan anti-crise de 2009, plus les ajouts qui seront votés
au prochain congrès, et faire un ajustement fiscal à l’avenant.
L’an dernier, à partir d’une critique de l’orientation
budgétaire des Libéraux et du contenu de la campagne couragepolitique.org ,
et en me basant sur la documentation de l’IRIS et sur celle de la consultation
pré-budgétaire du gouvernement Libéral, j’avais soutenu la possibilité et le réalisme
d’un budget alternatif de plein emploi écologique. Les dépenses programmatiques, en réalité des investissements
sociaux, pourraient augmenter de 15 à 20 milliards $ dans le cadre d’une
réforme fiscale rétablissant l’équilibre budgétaire de sorte à se libérer de la
dictature du capital financier.
Marc
Bonhomme, 26 février 2011
(Extraits d’un
texte fait le 12 février 2010)
Marc Bonhomme
À la fin janvier 2010, la direction de Québec solidaire (QS) lançait sa campagne politique couragepolitique.org. On ne peut que se réjouir que la direction du parti veuille mobiliser ses troupes pour proposer au peuple québécois une alternative au « plan de retour à l’équilibre budgétaire » des Libéraux. On peut s’en réjouir d’autant plus que le Parti Québécois (PQ) l’appuie tacitement tout comme, bien sûr, l’Action démocratique du Québec (ADQ). Toutefois, jusqu’à quel point le plan alternatif de la direction de QS l’est-il ? Son objectif « Des services de qualité pour tout le monde » et « Plus de justice fiscale » remet-il en question l’objectif Libéral de retour à l’équilibre budgétaire en 2013-2014 ? Quelles améliorations propose-t-il aux services publics et aux programmes sociaux ? Les nouveaux moyens de financement proposés sont-ils si différents de ceux du PQ ou de ceux récemment proposés par la présidence Obama ? Quel serait un plan de relance, ou d’urgence, anticapitaliste qui serrerait vraiment la ceinture au capital ?
Le « plan de retour à l’équilibre budgétaire » des Libéraux annoncé lors de la présentation du budget 2009-2010 prévoit
« un retour à l’équilibre
en 2013-2014. Quatre initiatives ont été mises de l’avant pour éliminer
graduellement le déficit :
– croissance annuelle des dépenses de
programmes à 3,2 % à compter de 2010-2011;
– intensification des efforts pour contrer
l’évasion fiscale et l’évitement fiscal;
– indexation de tous les tarifs non indexés
à compter du 1er janvier 2011 à
l’exception des tarifs pour les services de garde;
– hausse du taux de la taxe de vente du
Québec de 7,5 % à 8,5 %, au 1er janvier
2011.
Des mesures additionnelles sont à identifier afin de respecter les exigences prévues à la loi modifiant la loi sur l’équilibre budgétaire, récemment adoptée par l’Assemblée nationale [loi 40 en septembre 2009, NDLR]. Par ailleurs, le gouvernement versera 4,7 milliards de dollars au Fonds des générations d’ici 2013-2014. »
[…]
Nonobstant l’optimisme économique du gouvernement Libéral et
l’absence de nouvelles dépenses tant pour soutenir une reprise fragile que pour
améliorer des services publics à bout de souffle, les Libéraux prévoient à
l’horizon 2013-14 un manque à gagner de 5.1 milliards $ pour rétablir
l’équilibre budgétaire en plus du 6.3 milliards $ apportés par les quatre
mesures du « plan de retour à l’équilibre budgétaire »
détaillées plus haut, soit un total de 11.4 milliards $ (Budget 2010-2011 -
Consultations prébudgétaires, Des
finances publiques saines pour protéger nos valeurs, tableau 9). […]
Ce ne sont pas le PQ ou l’ADQ qui vont venir contredire le gouvernement Libéral. La chef péquiste s’est plutôt vanté au dernier Conseil national de novembre 2009 que « [c]’est le Parti Québécois qui a remis les finances en ordre » (Allocution prononcée par Pauline Marois l’occasion de l’ouverture du conseil national - 21 novembre 2009). Persister à être fier de la stratégie du « déficit zéro » de la fin des années 90 explique le nouvel anti-syndicalisme avoué du PQ. […] Nous voilà dans les plates-bandes de l’ADQ pour qui « [l]es propositions du Comité [consultatif sur l’économie et les finances publiques] sont intéressantes et collées sur les idées que l’ADQ prône depuis des années. (L’ADQ invite Jean Charest à enfin poser des gestes courageux).
La campagne de couragepolitique.org de Québec solidaire s’approprie l’objectif d’équilibre fiscal du gouvernement Libéral :
« Pour retrouver l’équilibre budgétaire en
2013-2014, le ministre Bachand estime qu’il doit trouver 5 milliards $ dès
cette année. C’est possible et cela sans imposer ou taxer plus lourdement la
classe moyenne ou les plus pauvres de la société. Québec solidaire présente
huit propositions alternatives. Avec du courage politique, plus de justice
fiscale et une contribution de ceux qui en ont les moyens, le Québec peut y
arriver. C’est à leur tour de serrer la ceinture. »
(Couragepolitique.org, onglet « Je propose »)
[…] La direction de Québec solidaire paraît être plus pressée que le ministre des Finances pour rétablir l’équilibre budgétaire… sans toutefois proposer aucun nouveau plan d’urgence pour contrer la crise économique, abandonnant ainsi les quelques modestes revendications pertinentes de son plan anti-crise du début 2009 comme, par exemple, la construction de 10 000 logements sociaux par année pendant 5 ans et un investissement de un milliard $ pour les emplois verts. Tout un recul.
La direction de QS fait siennes les hypothèses des Libéraux sur la fin de la crise et une reprise non négligeable à partir de 2011. Même si elle propose plutôt une « contribution de ceux qui en ont les moyens » il n’y en a que pour cinq milliards $, peut-être jusqu’à six si on ajoute une baisse du prix des médicaments et certaines écotaxes non précisées (présentation de Françoise David sous l’onglet « Je propose »). […]
À part le jovialisme implicite de QS au sujet de l’évolution du PIB, le problème central de la campagne de QS réside non seulement dans l’acceptation du paradigme du retour de l’équilibre budgétaire mais son retour aussi tôt que 2013-2014, contrairement au gouvernement Conservateur (Plan d’action économique du Canada, quatrième rapport, décembre 2009, graphique 1.11) qui planifie un déficit d’une douzaine de milliards $ pour 2013-14, soit de 2 à 3 milliards $ à l’échelle du PIB québécois. On peut bien sûr refuser un nouvel endettement de l’État d’un point de vue anticapitaliste c’est-à-dire refuser d’avoir recours aux pompiers-pyromanes responsables de la crise et par là continuer à laisser au capital financier le contrôle ultime des finances publiques. Ce n’est cependant pas le cas de la direction de QS qui n’avait pas hésité à financer son timide plan anti-crise essentiellement par le recours à l’endettement à la mode néo-keynésienne.
Pour la présente campagne, la direction de QS ne propose aucune dépense supplémentaire, mais seulement de précises mesures fiscales. Elle ne publie aucun cadre financier. Elle n'incorpore pas son plan anti-crise du début 2009 à la campagne actuelle. En n’y intégrant pas non plus les demandes salariales et les autres revendications du Front commun, la direction de QS laisse entendre que les moyens financiers pour y satisfaire ne sont pas au rendez-vous. Malgré tout le tapage de son site à propos de la santé, de l’éducation, de la pauvreté (des femmes) et de la privatisation, la direction de QS laisse tomber toute exigence précise et chiffrée d’amélioration des services publics et des programmes sociaux. Au mieux, la méthode est la même que le floue artistique de la politique traditionnelle. D’un parti de gauche, surtout en temps de crise, on s’attendrait plutôt à ce que la direction de QS insiste d’abord sur un programme d’urgence de création d’emplois socialement et écologiquement utiles et qu’ensuite seulement elle pose la question de son financement.
La direction de Québec solidaire se range armes et bagages dans le camp des tenants néolibéraux d’un retour rapide à l’équilibre budgétaire. Même les mesures fiscales proposées sont remarquables par leur timidité. Sauf pour les institutions financières, la direction de QS accepte la suppression de l’impôt sur le capital décrétée par les Libéraux et bénie par le PQ et l’ADQ. À la mode Obama, elle ne propose qu’une faible croissance de l’impôt sur le revenu des seuls très riches (Couragepolitique.org, onglet « Je propose »). Au moins dans ses récentes propositions budgétaires, en plus de mesurettes semblables, le président des ÉU a-t-il proposé une timide rallonge à son programme de relance… comme du budget du Pentagone. Les demandes modestes de redevances sur l’eau et sur les mines distinguent à peine QS du PQ (Le PQ présente un projet de loi pour faire de l’eau “Patrimoine commun” de la Nation québécoise et Radio-Canada, 30/06/09). Que les sommes attribuées au Fonds des générations soient dans le budget ou hors budget ne change en rien la dette publique nette même si ça change le déficit.
Ne reste de spécifiquement social-libéral que les mesures s’en prenant à la finance proprement dite (la majoration des gains de capitaux de 50 à 100% et le plafonnement des REER de 21 000 à 10 000$) et celles grignotant de 20% les subventions directes et indirectes spécialement à la grande entreprise (selon la présentation orale de Françoise David). […]
Que
pourrait avoir l’air un plan budgétaire anticapitaliste ? Certaines références du site Internet
de Couragepolitique.org en donnent une idée. Selon Louis Gill « [l]’intervention massive des États à la rescousse des
grandes entreprises et des établissements financiers menacés de faillite met
plutôt en évidence l’impasse à laquelle le système de la propriété privée mène
lorsqu’il est livré à lui-même… ». (Louis Gill, La crise
actuelle : écho des crises d’hier, prélude des crises à venir, octobre 2009) Il en découle que même « le très conservateur Financial Times
de Londres a évoqué en novembre dernier [2008] l’éventuelle nécessaire
reprise en main par l’État des grandes banques rescapées par les fonds publics
qui continueraient à refuser de jouer leur rôle social de dispensatrices de
crédit à la population en destinant à d’autres usages l’argent public mis à
leur disposition. » Comme
pour la gauche, il ne suffit pas de sauver les banques pour sauver le système,
Louis Gill de conclure, « [l]a mise sous propriété publique des grandes
banques et des établissements de crédit garantirait l’exercice de cette
fonction sociale qui est la leur et bannirait la spéculation, la fraude et les
indécentes rémunérations des dirigeants qui gangrènent le système. Elle serait
un outil clé du contrôle à conquérir par la collectivité sur l’organisation
générale de l’activité productive et distributive. » (Louis Gill, À l’origine des
crises : surproduction ou sous-consommation ?, mars 2009)
[…]
L’indépendance permettra la mise sur pied de la Banque du Québec et
l’instauration d’une monnaie québécoise afin d’encadrer l’expropriation des
institutions financières, de mettre en place la nouvelle structure de finance
populaire et d’implanter un régime d’investissements anti-crise et écologique
et une structure de prix favorisant la conservation énergétique, le transport
public, l’agriculture biologique et la réduction du temps de travail. Voilà quelle aurait dû être la perspective
générale de la campagne couragepolitique.org de la direction de Québec
solidaire. Si la promotion de
l’indépendance est stratégiquement cruciale, elle n’est pas juste bonne pour
les discours du dimanche.
Pour apprécier la pression fiscale à
laquelle le gouvernement du Québec est tenu pour sortir de la crise qui n’est
qu’en apparence et temporairement résolue, il faut d’abord avoir une idée des
dépenses publiques supplémentaires qui sont nécessaires. Toujours dans les textes disponibles en
référence dans Couragepolitique.org, Louis Gill fait ressortir que :
« La seule région du monde où on a noté un rebond
qui mérite ce nom est l’Asie, […]. À noter que cette forte croissance est
d’abord attribuable (dans des proportions de 75 % en Chine) à l’ampleur des
plans de relance et à la rapidité de leur mise en oeuvre. Ces plans de relance
ont été les plus importants du monde, représentant 5 % du PIB en Chine et au
Japon, 3,5 %, dans le reste de l’Asie, comparativement à 2 % en moyenne dans
les autres pays. » (Louis Gill, La crise
actuelle : écho des crises d’hier, prélude des crises à venir, octobre 2009)
« Au Canada, [c’est] un programme de 40
milliards de dollars canadiens sur deux ans, dont 12 milliards pour les
infrastructures et le reste en allégements fiscaux divers. Ce programme, dont
le montant réel serait de 32 et non de 40 milliards selon le Directeur
parlementaire du budget, ne représente que 1,3 % du PIB en moyenne par année,
alors que 200 milliards de dollars ont été destinés au « renforcement du
système financier ». (Louis Gill, À l’origine des
crises : surproduction ou sous-consommation ?, mars 2009)
Selon
ses propres chiffres, le gouvernement du Québec s’est doté d’un plan de relance
de 5% du PIB sur les deux années 2009 et 2010, soit 2.5% par année (Budget 2010-2011
- Consultations prébudgétaires,
Le point sur la situation
économique et financière du Québec, tableau 12). À noter qu’il faudrait ajouter à ce
plan de relance la croissance des dépenses d’immobilisations d’Hydro-Québec par
rapport à 2008, soit 2 milliards $ pour 2009 et 2010 (Le
Plan stratégique 2009-2013, page 81). La partie infrastructure, 60% du plan
de relance, avait déjà été prévue avant la crise pour fins de délitement
d’infrastructures routières et d’exportations hydroélectriques. Du 40% restant, 80% consiste en soutien
direct aux entreprises.
Ce plan, aux yeux des Libéraux, a la vertu d’avoir un impact mineur sur le déficit public parce qu’Hydro-Québec est hors périmètre comptable du gouvernement, que depuis quelques années les dépenses en immobilisations publiques ne sont plus imputées à l’année en cours mais amorties à la mode de l’entreprise privée, qu’une partie significative de l’aide à l’entreprise étant des prêts et avances est hors budget. Un grand bénéficiaire du plan de relance est le complexe ABC (asphalte, bois, ciment) dont l’influence corruptrice a donné lieu à la campagne pour une enquête publique sur l’industrie de la construction dont le gouvernement Libéral ne veut absolument pas. On notera que ce plan de relance Libéral concerne fort peu les services publics et les programmes sociaux et par là l’emploi et l’allègement du travail gratuit des femmes.
Si les dépenses budgétaires du gouvernement du Québec par
rapport au PIB ont crû de près de 2% en 2009-10 c’est moins dû au plan de
relance pro-ABC, dont moins de un milliard $ passe par le budget 2009-10
et encore moins par celui prévu pour 2010-11 qu’à un recul
du PIB de la mi-2008 à la mi 2009 (Budget 2010-2011 - Consultations prébudgétaires, Des
finances publiques saines pour protéger nos valeurs, tableau 2). Le
taux de croissance des dépenses de programme (dépenses totales moins le service
de la dette) du gouvernement du Québec ne sera pas plus élevé pour les années
budgétaires 2009-10 et 2010-11 qu’il ne l’a été depuis l’accession des Libéraux
au pouvoir en 2003… et un rattrapage est prévu jusqu’en 2013-14 :
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Budget 2010-2011 - Consultations prébudgétaires , Le
point sur la situation économique et financière du Québec. et Des
finances publiques saines pour protéger nos valeurs
En fait, le
gouvernement Libéral se vante d’avoir été le plus pingre de tous les
gouvernements provinciaux depuis 2003 et d’avoir le moins fait parmi les
gouvernements mondiaux pour combattre la crise :
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Budget 2010-2011 - Consultations prébudgétaires , Des
finances publiques saines pour protéger nos valeurs
Le gouvernement du
Québec répète ad nauseam que sa pingrerie est justifiée par le fait que
le Québec est la province la plus endettée du Canada. Ce n’est pas tout à fait l’avis de quelques éminents membres
du club des Lucides dans un passage de leur dernier livre, Le Québec économique 2009,
si l’on prend la peine de soustraire l’actif du passif et d’utiliser les
critères internationaux qui excluent la dette actuarielle pour les pensions
futures des employés de l’État parce qu’elle ne fait pas l’objet d’un emprunt
sur les marchés :
Source :
le Québec économique 2009
De commenter
l’économiste de la CSQ, Pierre Beaulne, dans une référence que l’on retrouve
aussi sur le site Couragepolitique.org :
« Quant aux intérêts à payer sur la dette, ils demeurent stables, autour
de 7,5 milliards par an, ce qui représente 11 cents dans le dollar de revenus
gouvernementaux. En 1997, les intérêts sur la dette représentaient 17,7 cents
dans le dollar de revenus [8]. Il ne
s’agit pas de jouer à l’autruche, mais il faut quand même garder un sens des
proportions dans notre appréciation des difficultés financières du Québec. » (Conjoncture
économique – automne 2009)
Une autre justification de la pingrerie gouvernementale consiste à montrer à quel point la pression fiscale au Québec est la plus importante des provinces canadiennes. Encore là, le club des Lucides, à l’encontre de ses propres conclusions et prescriptions, démontre que les bénéfices supplémentaires dont profite le peuple québécois justifient pleinement cet effort fiscal. Le 15 décembre 2009, le ministère des Finances du Québec publiait le rapport « Le Québec face à ses défis » par les quatre lucides Robert Gagné, Pierre Fortin, Luc Godbout et Claude Montmarquette. Ils avouent qu’à salaires et prix comparables avec l’Ontario, le gouvernement du Québec dépense par habitant, hors service de la dette, 26% de plus que celui de l’Ontario… pour toute une série de programmes et dépenses supplémentaires dont les deux tiers sont des dépenses sociales absentes en Ontario. (Pour une liste détaillée, voir l’annexe)
L’ultime
justification de la pingrerie Libérale est que le Québec a moins été affecté
jusqu’ici par la crise économique.
Il est vrai que le Québec a été jusqu’ici une des moins touchées des
provinces canadiennes et le Canada un des moins touchés parmi les pays
développés :
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Budget 2010-2011 - Consultations prébudgétaires , Le
point sur la situation économique et financière du Québec et The
Economist, 4/02/10
Cette chance ne doit rien aux Libéraux. Elle s’explique, en négatif, par l’absence au Québec d’un complexe automobile-acier, de la faiblesse du secteur financier, des crises de la foresterie et du textile/vêtement commencées bien avant la crise actuelle et, en positif, d’une relative diversification manufacturière dont plusieurs volets technologiquement avancés (aérospatial, pharmacie, logiciels dont les jeux électroniques, optique) et, comme on l’a vu, d’importants programmes d’investissements publics dont les raisons n’ont rien à voir avec la crise. Cette chance ne s’explique que marginalement par la qualité relative des programmes sociaux québécois contrairement à certaines explications en vogue à gauche, ce qui a pour effet de banaliser leur piètre qualité et de justifier le « plan de retour à l’équilibre budgétaire » des Libéraux, piège dans lequel est tombé la direction de QS.
Pour un plan de relance anticapitaliste sans
déficit
Accepter l’objectif Libéral c’est capituler
devant le refus des Libéraux de relancer les services publics et les programmes
sociaux charcutés à la fin des années 90 par la sainte alliance des Libéraux
fédéraux et du PQ. Cette relance
est justifiée en soi, même si la crise économique la rend encore plus
pertinente pour des raisons d’atteinte du plein emploi. Ne pas œuvrer à cette relance c’est
implicitement accepté la privatisation car les couches fortunées et même
moyennes, tolérant de moins en moins la détérioration des services publics,
exigeront (exigent déjà) des baisses d’impôt pour se payer des services privés. L’augmentation substantielle des
dépenses de programme s’impose aussi pour démarrer une révolution en profondeur
de l’énergie, des transports, du logement et du tissu urbain afin d’atteindre
les objectifs du GIEC — 40% moins d’émanations de gaz à effet
de serre d’ici 2020 — aujourd’hui traîné dans la boue par une droite
encouragée par le fiasco de Copenhague sur lequel la direction de Québec
solidaire est restée complètement silencieuse.
L’Institut de recherche et d’information
socio-économique (IRIS), dans un document donné en référence sur le site de
Couragepolitique.org, fait d’excellentes suggestions à court terme basées sur
toute une série de récentes demandes de mouvement social malheureusement
oubliées avec la venue de la crise économique qui pourtant les rend encore plus
pertinentes. Il suggère sept
milliards $ de nouveaux investissements sociaux dont deux pour la santé,
un peu plus pour l’éducation, un peu moins d’un milliard pour la construction
de 50 000 logements sociaux, ce que Québec solidaire avait repris du
FRAPRU dans sa plate-forme électorale de 2008 et ce qu’il a laissé tomber dans
son actuelle campagne politique comme tout le reste d’ailleurs, 1.5 milliard à
ajouter au plan gouvernemental sur les changements climatiques et un demi-milliard
pour le transport en commun (IRIS, « D’où
vient la “crise’’ des finances publiques », mars 2008, pages
6-7).
Ces nouveaux programmes qui s’ajouteraient à
la suppression anticapitaliste du déficit pour se libérer du pouvoir de la
finance — et à une reconfiguration écologique des programmes
d’infrastructures afin de donner la priorité au transport collectif, à
l’efficacité énergétique et à l’éolien — nécessiterait une vingtaine
de milliards $ de nouveaux revenus.
Comme une modeste reprise, que ces dépenses susciteraient, pourrait en
fournir peut-être jusqu’à cinq milliards $, resterait une pression fiscale
supplémentaire d’une quinzaine de milliards $ ou un peu plus. À l’époque des « trente
glorieuses », alors que la production de la richesse par personne était de
deux à trois fois moindre qu’aujourd’hui (L'Observateur
économique canadien : supplément statistique historique, tableau 1.6,
colonne 5), on avait trouvé la
marge fiscale nécessaire pour financer une augmentation drastique des
investissements sociaux. L’erreur
monumentale de la génération soixante-huitarde a été d’avoir ménagé la
bourgeoisie en lui empruntant son capital oisif au lieu d’aller le chercher par
l’imposition, donnant ainsi au capital financier une porte d’entrée pour
initier sa contre-offensive néolibérale.
Reprendre au capital ce qui lui a été cédé,
sans lui emprunter
Graphique E. Variations du niveau
d'imposition (en points de pourcentage du PIB) (page 44), 1995-2007 OCDE, Statistiques
des recettes publiques 1965-2008 : Édition 2009 |
Le Canada est un des pays de l’OCDE qui a le plus réduit son niveau d’imposition depuis 1995. On remarque que ce n’est pas du tout le cas des ÉU. C’est là l’effet fiscal de l’ALÉNA que le gouvernement Conservateur vient tout juste de renforcer en ouvrant la porte des marchés publics des provinces et des municipalités avec l’appui du gouvernements du Québec. (Le Devoir, 12/02/10)) sans compter la conclusion de l’Accord sur le commerce intérieur en octobre 2009 (Le Devoir, 15/10/09) L’IRIS, dans l’étude déjà citée, affirme que « en ne tenant compte que des baisses de l’imposition générale des particuliers depuis 2000 et de deux catégories de déductions fiscales consenties principalement aux plus fortunés, on constate que l’État québécois se prive chaque année de 9,8 milliards$ en revenus (je souligne). Il s’agit là d’une marge de manœuvre appréciable, et elle ne prend même pas en considération les baisses d’impôt consenties aux entreprises. » (page 6) |
Pourtant les
baisses d’impôt aux entreprises depuis 2000 ne sont pas négligeables, que ça
soit l’impôt sur les profits ou celui sur le capital :
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Budget 2010-2011 - Consultations prébudgétaires , Des
finances publiques saines pour protéger nos valeurs et
Profil
économique et financier du Québec, 2009
En 2013, le Québec aura réduit de 30%
son taux statutaire d’imposition des profits par rapport à l’an 2000 et il aura
fait disparaître l’imposition du capital, ce avec quoi est d’accord Québec
solidaire sauf pour les institutions financières. À noter encore une fois que les entreprises étasuniennes
sont davantage imposées sans que leur niveau d’imposition n’ait été réduit. Bien sûr, on notera aussi qu’au Canada
en dehors du Québec, la réduction de l’imposition des profits aura été encore
plus drastique qu’au Québec. Que
faire alors ? S’attacher au
train canadien conduit par la locomotive albertaine ou s’en détacher ce qui
n’est certes pas une solution miracle mais qui crée plus de marge de manœuvre
pour une politique autonome hors ALÉNA… et peut-être pro-ALBA.
Il y a donc amplement de marge de
manœuvre pour aller chercher de 15 à 20 milliards $ en impôts
supplémentaires, ce qui représente entre cinq et sept points de pourcentage du
PIB québécois. Cette hausse des
revenus correspondrait à un niveau de 23 à 25% du PIB, ce qui est l’ordre de
grandeur des dépenses de programme du gouvernement québécois lors de la sévère
crise économique du début des années 80 (voir graphique 44 plus haut) en
prenant pour acquis que cette fois-ci on se libèrerait de l’emprise du capital
financier en le taxant au lieu de lui emprunter. Ainsi serait-il possible d’avoir les moyens financiers d’un
plan d’urgence anti-crise dans l’intérêt du prolétariat tout en se libérant de
l’emprise des pompiers-pyromanes, ce qui donne un tout autre sens à
« l’équilibre budgétaire ».
Québec Inc. et Canada Inc.
accepteraient-ils ce virage anti-capitaliste sans broncher ? Bien sûr que non. Il va falloir l’affronter dans les
urnes et surtout dans la rue. Ce
qui encore une fois pose la nécessité d’entreprendre immédiatement la lutte
pour l’indépendance sans attendre les Calendes grecques d’une
« souveraineté populaire » s’exprimant par une assemblée constituante
convoquée par un gouvernement Québec solidaire. L’indépendance permettrait de se doter d’une Banque
populaire du Québec qui aurait le pouvoir de contrôler les flux de capitaux non
seulement internationaux mais aussi nationaux une fois les banques et les autres
institutions financières expropriées.
L’implantation d’un plan d’urgence anti-crise ne peut faire l’économie
d’une mobilisation de la rue vers une grève générale pour affronter le capital. La lutte du Front commun pourrait en
être l’occasion.
[…]
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Annexe : Extraits du
fascicule « Le Québec face à ses défis »
par les quatre lucides Robert
Gagné, Pierre Fortin, Luc Godbout et Claude Montmarquette
1. « …le Québec a
graduellement mis en place la politique familiale la plus généreuse au Canada.
En 2005-2006, les subventions annuelles versées par place de garde
s’établissaient à 4 600 $ au Québec, comparativement à 3 300 $ dans l’ensemble
du Canada et à 2 300 $ en Ontario. »
2. « En 2006-2007, au
Québec, 77 % des lits approuvés étaient de propriété publique provinciale,
aucun de propriété municipale et 23 % de propriété privée. La même année, au Canada, 25 % des lits
approuvés étaient de propriété provinciale, 8 % de propriété municipale et 67 %
de propriété privée. Dans le cas de l’Ontario, et toujours en 2006-2007, il n’y
avait aucun lit de propriété provinciale, 20 % des lits étaient de propriété
municipale et 80 % de propriété privée. »
3. « En 2008-2009, [pour les transports et les
communications], le financement public québécois était supérieur de 4,0
milliards de dollars au financement public ontarien. Cette situation s’explique
à la fois par des besoins plus importants par rapport à la population –
le réseau québécois étant plus étendu que le réseau ontarien – et par le
rattrapage que le gouvernement a été obligé d’effectuer depuis quelques
années. »
4. « …la majeure partie de l’écart entre
le Québec et l’Ontario provient des crédits d’impôts, et des mesures
spécifiques définis afin de soutenir la recherche scientifique et le
développement expérimental, l’investissement, la nouvelle économie et les
régions. L’écart entre le Québec et l’Ontario s’explique également par des
subventions plus importantes au Québec. »
5. « Dans le secteur de la santé, […] le Québec offre
davantage de services que l’Ontario, notamment par son régime québécois
d’assurance médicaments. »
6. « Dans le secteur de l’éducation, l’écart entre le
Québec et l’Ontario […] s’explique entièrement par les dépenses plus élevées
qu’assume le Québec au niveau postsecondaire, en raison essentiellement des
frais de scolarité plus faibles assumés par les étudiants québécois. »
12 février 2010