2 août 2011

 

De la déconfiture syndicale à l’absurde politique de gauche

 

Pendant que le gouvernement Harper impose une convention collective au Syndicat des postiers laquelle sera inférieure aux offres patronales, la nouvelle chef intérimaire du NPD confond fédéralisme et indépendantisme.  Pendant que la majorité antilibérale de Québec solidaire vote un programme condamnant les marchés et les taxes carbone, la direction du parti le cache au grand public tout en restant coite quand le gouvernement champion du Plan Nord et des gaz de schiste s’en réclame sous les applaudissements des ténors des ONG de l’environnement.   

 

Pendant que le mouvement syndical québécois reste écrasé sous le fardeau de la défaite sans combat du secteur public — voir l’entrevue d’une militante syndicale de la FSSS ci-après — et de celle combative du Journal de Montréal, les chefs de file de la section québécoise de la Quatrième Internationale reprennent à leur compte le « on a sauvé les meubles » des directions syndicales (INPRECOR, mai-juin 2011).  Pendant que le nouveau président de la CSN déclare « évalu[er] la possibilité d’une grève sociale sur les orientations économiques et budgétaires du gouvernement Charest » (Aut’Journal, juillet-août 2011), il oublie qu’il a laissé tomber toute possibilité de grève générale du secteur public seule capable de créer le rapport de force nécessaire pour renverser la vapeur.  (On ose même pas parler des connivences mafieuses de la direction de la FTQ à travers son fond de capital de risque qu’imite la CSN.) 

 

Pendant que l’extrêmement concentré et réactionnaire système médiatique québécois écrase tout discours de gauche, les directions de toute la gauche sociale et politique, gauche anticapitaliste comprise, sont restées silencieuses face à la mort de Rue Frontenac, le seul média d’une certaine importance à avoir parlé de la dissidence au sein de la FSSS, qu’aurait pu pérenniser une campagne populaire d’abonnements et des subventions syndicales.  Pendant que le décidément fringant nouveau président de la CSN joue au grand démocrate en disant qu’« il faut avoir l’honnêteté de dire qu’il y a une position majoritaire et des positions minoritaires, [qu’] il faut en finir avec la ligne de parti », un caucus contestataire de plusieurs dizaines de personnes au sein de la CSN, malheureusement sans suite, se sent obligé de se réunir dans la clandestinité.   

 

Comme disait l’autre, « Seigneur, délivre-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en occupe ».  On ne peut plus tolérer ce système absurde qui laisse mourir des dizaines de milliers d’habitants de la Corne de l’Afrique alors que la finance mondiale, après l’effondrement des marchés immobiliers et boursiers, s’empare dorénavant des abondants stocks alimentaires faisant grimper exponentiellement leur prix sous prétexte de crise climatique.  On ne peut plus tolérer cette absurde et hypocrite négociation sur la dette publique étasunienne pour masquer la collusion Démocrates-Républicains pour créer une psychose permettant la démolition des conquêtes du New Deal et de la Great Society.  On ne peut plus tolérer l’absurdité de prétendre que la Grèce peut payer ses dettes afin de sauver les banques en sacrifiant le peuple jusqu’à la tiers-mondialisation. 

 

La jeunesse occupant les places centrales des grandes villes d’Espagne a mille fois raison.  Est-ce un nouveau type de soviet ?  C’est la jeunesse que Poste Canada a sacrifié avec ses clauses orphelins.  Sauf très rare exception, il n’y a plus rien à attendre des sommets des partis de gauche, des syndicats et tutti quanti pour mobiliser le peuple travailleur.  Sauf le respect dû au Syndicat des postiers qui n’a pu que constater un impossible rapport de force — mais il aurait peut-être pu oser défier la loi spéciale pour susciter un mouvement d’appui — il a été lâchement lâché par le Conseil du travail du Canada et par le NPD, et oublié de Québec solidaire malgré le principe des grèves de solidarité voté quelques mois auparavant et caché par la direction.  Leurs congrès de mai et juin, après l’élection majoritaire des Conservateurs annonçant un évident règlement de compte, ont ignoré toute organisation d’un mouvement de mobilisation de grande ampleur.

 

En attendant que la jeunesse québécoise, abandonnée par la gauche institutionnelle, envahisse la place Émilie-Gamelin au centre de Montréal, je me sens comme Guy Debord qui « tourne en rond dans la nuit dévoré par le feu ».

 

Marc Bonhomme, 2 août 2011

bonmarc@videotron.ca ; www.marcbonhomme.com

 

 

 

 

Publié dans Unité ouvrière, été 2011

 

Pour rompre l’omerta* sur la dissidence au sein de la base du Front commun

Pourquoi et comment un des plus importants syndicats de la FSSS a dit non à l’entente de 2010

 

Entrevue avec Armande Duval, auxiliaire familiale au CLSC de Hull et membre de l’exécutif du Syndicats des travailleurs et travailleuses de la santé de Gatineau (STTSG).  L’entrevue a été faite par Marc Bonhomme pour Unité ouvrière. 

 

En juin 2010, le gouvernement du Québec a fait une offre à tout le secteur public qui a été ratifiée au début de l’automne par plus de 80% des syndicats de la FSSS mais refusée par quelques syndicats importants dont celui du CHUM à Montréal et le Syndicat des travailleurs et travailleuses de la santé de Gatineau (STTSG).  Le STTSG comprend 2,400 membres dans les deux hôpitaux de Gatineau, trois CHSLD et trois CLSC.  Pourquoi ce rejet à près de 89% par le STTSG ?

 

L’offre de juin ne correspondait pas du tout aux revendications qu’on avait mises de l’avant et qu’on avait travaillées pendant des mois en assemblées locales et à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS).  Le monétaire était au niveau de tout le secteur public, le sectoriel au niveau de chaque fédération.  À la Fédération, une revendication qu’on avait beaucoup travaillé et qu’on a liée à beaucoup de problèmes qu’on vit au quotidien, et ça n’a pas changé depuis, c’est la question de la privatisation.  Les offres du gouvernement allaient à l’encontre de cette revendication là.  C’était la revendication sectorielle la plus importante.  D’autres revendications concernaient les conditions de travail : les primes pour les gens de soir et de nuit et pour les métiers où il y a une pénurie qui s’est installée depuis quelques années et qui va en s’aggravant.  Les métiers dans notre syndicat de soutien sont délaissés parce que dans le réseau de la santé ils sont sous payés par rapport au privé.  Pour le monétaire, c’était bien loin de rencontrer nos demandes et on avait fait beaucoup de travail là-dessus.  Le monétaire et la privatisation sont les raisons principales du rejet de l’offre. 

 

Comme les directions de la Fédération et du Front commun vous incitaient à accepter les offres qui, au niveau salarial, étaient difficiles à comprendre, comment vous êtes-vous démêlés ?

 

Comme tu es économiste, tu nous a beaucoup aidé à ce niveau là.  Je t’ai appelé pendant tes vacances en Gaspésie et je t’ai envoyé toute la documentation pour que tu m’aides à expliquer clairement les enjeux en assemblée générale.  Tu m’as fait des tableaux et tu as résumé les enjeux point par point.  Ce qui a fait qu’en assemblée générale c’était clair et précis et ç’a été comme un choc.  En assemblée générale on a d’abord présenté le point de vue de la Fédération.  Mais on a aussi expliqué notre point de vue qui était de refuser ces offres-là qui nous faisaient reculer.

 

L’astuce était d’à peu près de rien donner au cours des deux ou trois premières années et ensuite de graduellement rattraper l’inflation à condition que le taux de croissance de l’économie soit relativement bon.  Ce qui fait qu’à la dernière journée de la cinquième année de la convention tu rejoignais la position de départ en autant que le taux d’inflation reste modeste.  Mais entre temps, pendant cinq ans, tu perds !

 

Les membres ont compris qu’ils s’appauvrissaient.  Ils ont compris qu’on se faisait royalement avoir.  C’était clair et en plus la privatisation continue comme avant.

 

À part les assemblées générales, comment vous y êtes vous pris pour expliquer votre position à vos membres ? 

 

On a fait un gros travail d’information.  D’abord, on recevait du matériel de la fédération qu’on devait distribuer.  Mais l’exécutif, composé d’une quinzaine de personnes, s’est aussi donné les moyens de faire connaître sa propre position de rejet de l’offre.  Par exemple, on avait notre propre journal — il y en a eu environ trois durant tout le processus — qu’on a fait parvenir par courrier à chaque membre. 

 

Aviez-vous un site Internet ? 

 

Non, on a essayé dans le passé mais ça n’avait pas marché.  Cependant, en plus du journal on a fait des tracts qui étaient, par exemple, distribués dans les pigeonniers des membres dans les CLSC.  Il reste que pour rejoindre nos membres dans les hôpitaux, par exemple autour de 600 membres à Hull, c’était plus difficile parce qu’on ne pouvait le faire qu’indirectement en les laissant sur les tables ou au bureau syndical.  Même s’il n’y avait que 40 à 60 personnes présentes aux assemblées générales, tant à celle du matin qu’à celle du soir, il y a eu à partir de là beaucoup de bouche à oreille.  Au CLSC, que je représente sur l’exécutif, j’ai organisé des assemblées sur l’heure du midi. 

 

Finalement, 800 personnes sur 2,400 se sont déplacées pour venir voter.  C’est un bon taux de participation.  Le vote s’est pris sur les lieux de travail, dans chacun des neuf établissements.  Le jour du vote l’exécutif ne faisait plus rien, les choses ont été prises en main par les membres.  Des membres s’inquiétaient si celui ou celle-là était venu voter et on allait les chercher pour voter.  Ça s’interpellait dans les corridors.  Les membres se sentaient vraiment dans le coup.

 

Vous apprenez au cours de l’automne que la majorité des syndicats de la FSSS et des autres fédérations avaient accepté les offres.  Comment avez-vous réagi ?

 

Mon Dieu ! Ça été la déprime. Ça nous a fourré une claque.

 

Et les membres ?

 

Les membres étaient vraiment déçus.  Mais ça les a plus motivés à maintenir leur dissidence.  Dans la FSSS, la position de dissidence de l’exécutif doit être enregistrée, ce que nous avions fait, et ceci nous donne le droit d’expliquer à nos membres que nous ne sommes pas d’accord.  Les membres ont insisté pour maintenir leur position de dissidence et par respect pour eux l’exécutif a décidé de la défendre.  C’était aussi reconnaître la valeur de tout le travail qu’on avait fait précédemment. 

 

Qu’est-ce que ça veut dire maintenir se dissidence.

 

C’est très mal vu parce qu’il y a une tradition de ralliement dans la FSSS.

 

Comment avez-vous manifesté votre refus ?

 

On avait déjà envoyé une lettre au bureau national de la FSSS pour les avertir de notre position.  Lors d’une réunion à Rivière-du-Loup, nous avons voulu manifester notre dissidence face aux autres délégués.  Nous étions tellement choqués et frustrés des résultats du vote que nous avons décidés de nous présenter avec des chandails rouge où c’était écrit dans le dos : « Négo 2010, le SPTTSG-CSN maintient sa dissidence.  Cette entente de principe est POURRIE !! ».  Nous étions six délégués à vouloir les porter mais un représentant de la direction est venu nous avertir que nous serions expulsées si nous les portions en assemblée.  On n’a même pas pu amener le sujet sur le plancher.

 

Y avait-t-il d’autres syndicats dissidents ?

 

D’une façon aussi claire, non. 

 

Qu’est-ce que ça vous laisse comme perspective aujourd’hui

 

Notre travail va encore être plus difficile.  Présentement c’est le redressement budgétaire du gouvernement Charest, c’est des coupures à tour de bras, à coup de millions dans le réseau de la santé.  Avec ce qu’on a récolté comme convention collective les perspectives sont loin d’être réjouissantes.

 

 

* À l’exception d’un article web de « Rue Frontenac » (et d’Unité ouvrière), aucun media tant de droite que de gauche n’a fait mention de la résistance à la base du Front commun.  Le faire aurait mis en lumière la contradiction entre base syndicale et hautes directions syndicales.  Cet aveu public aurait soit, pour la droite, mis en cause la politique de concertation, appellation québécoise de la collaboration de classe, soit, à gauche, ébranlé les bons rapports avec les bureaucraties syndicales, y compris celles réputées de gauche.